L’hypocrisie, le cancer caché dans nos Églises

Quel est, aujourd’hui, le plus grand besoin de l’Église ? De meilleurs dirigeants ? Une meilleure formation ? Des offrandes plus conséquentes ? Une doctrine plus orthodoxe ? L’intégrité morale ? Tout cela est indubitablement nécessaire, mais il y a quelque chose d’encore plus vital qui sous-tend toutes ces choses : c’est l’intégrité de l’Évangile.

Dans Luc 12, alors que des milliers de personnes sont rassemblées pour écouter Jésus, celui-ci commence par dire à ses disciples : « Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie » (v. 1). Il n’y aurait eu rien de surprenant à ce que cet avertissement s’adresse au peuple dans son ensemble, mais Jésus interpelle avant tout ses disciples, ceux qui ont déjà tout quitté pour le suivre. Il est donc clair que l’hypocrisie – qui est un manque d’intégrité du raisonnement et du cœur –constituait aussi un danger pour eux.

Matthieu rapporte que Jésus a dit à ses disciples : « Gardez-vous avec soin du levain des pharisiens et des sadducéens » (Mt 16.6). Remarquant cela, J. C. Ryle a commenté ce texte en disant que le Christ « savait d’avance que les deux grandes plaies qui menaçaient son Église sur terre seraient toujours la doctrine des pharisiens et la doctrine des sadducéens[1]. » Ce n’est donc pas que le pharisaïsme ait été la seule menace pour l’Église que Jésus ait anticipée, mais c’est, sans doute, la principale. Le pharisaïsme n’est, après tout, rien d’autre que cette religion formelle, sans cœur, qui marque la première étape, imperceptible, du déclin spirituel d’une Église avant qu’elle ne sombre dans l’apostasie la plus absolue. C’est une menace intérieure constante que nous pouvons négliger, tandis que nous disséquons et déplorons l’échec des autres.

Le cancer caché

Il n’est pas difficile de repérer les péchés flagrants (tels que le meurtre, l’adultère ou le vol), mais l’hypocrisie est, par sa nature même, un faux-semblant qui la rend difficile à détecter. L’hypocrisie ne veut pas être dévoilée pour ce qu’elle est. Elle se dissimule et trompe pour éviter d’être découverte. « L’hypocrite est très souvent une imitation extrêmement habile du chrétien », déclare Charles Spurgeon. « Pour le simple observateur, il est une si bonne contrefaçon qu’il échappe totalement aux soupçons[2]. » Comme le levain dans la pâte, l’hypocrisie a le pouvoir de transformer tout en étant presque imperceptible. Les hypocrites, tels des sépulcres blanchis, peuvent être remplis d’ossements tout en paraissant beaux à l’extérieur (Mt 23.27).

Il est donc très facile de prendre à la dérision l’idée que le pharisaïsme soit un problème permanent pour l’Église. Après tout, personne aujourd’hui n’est un pharisien auto-proclamé, détenteur d’une carte de membre. On utilise le mot comme une sorte de boue que l’on jette à la figure des autres. Et même dans ce cas, il est rare qu’on le pense réellement, puisqu’on imagine le pharisien comme le « méchant » des dessins animés. Traiter quelqu’un de pharisien semble donc dur et cruel. Mais, selon Jésus, le levain des pharisiens est une menace réelle et actuelle pour les disciples. Sous le couvert d’expériences remarquables et de paroles qui professent l’Évangile de la grâce, il peut aussi bien se cacher dans le cœur des personnes les plus ardemment « centrées sur l’Évangile » que dans le cœur de ceux qui affirment la justification par la foi seule ou encore de ceux qui sont fidèles à leur confession de foi.

Si l’hypocrisie reste un problème imperceptible et discret, ce n’est pas, pour autant, un problème mineur. Un vrai hypocrite est « un fils de la géhenne » (Mt 23.15), et Dante fait preuve d’une grande perspicacité lorsque, dans son Inferno, il place les hypocrites dans le huitième cercle de l’enfer. Car l’hypocrisie, comme nous le verrons, est un déni de l’Évangile, un péché qui, à cause de sa subtilité, est bien plus diabolique que les péchés de la chair, ceux-là mêmes que l’hypocrite est prompt à condamner. Ainsi que l’écrivait C. S. Lewis :

Les péchés de la chair sont néfastes, mais ce sont les moins néfastes de tous les péchés. Les pires des plaisirs sont purement spirituels : le plaisir d’induire les autres en erreur, de les contrôler, de les traiter avec condescendance, d’être rabat-joie et langue de vipère ; les plaisirs du pouvoir et de la haine. Car il y a deux choses en moi qui luttent avec l’homme que je dois essayer de devenir : le moi animal et le moi diabolique. Le moi diabolique est le pire des deux. C’est pourquoi un homme orgueilleux, insensible et imbu de sa propre justice, bien qu’allant régulièrement à l’église, est bien plus proche de l’enfer qu’une prostituée. Même si, bien sûr, il vaut mieux être ni l’un ni l’autre[3].


Cet article est tiré du livre : Les pharisiens évangéliques de Michael Reeves


[1] J. C. Ryle, Warning to the Churches [Avertissement aux Églises], trad. libre, Édimbourg, Banner of Truth, 1967, p. 51.

[2] Charles Spurgeon, « The Touchstone of Godly Sincerity » [« La pierre de touche d’une piété authentique »], trad. libre, dans The Metropolitan Tabernacle Pulpit Sermons, vol. 17, Londres, Passmore & Alabaster, 1871, p. 206.

[3] C. S. Lewis, Mere Christianity [L’essentiel du christianisme], trad. libre, Glasgow, Collins, 1955, p. 92.