Qu’est-ce que la prédestination ?

Nous devons commencer par nous poser cette question, en apparence simple : qu’est-ce que la prédestination ? Il semble y avoir autant de définitions différentes de la prédestination qu’il y a de doctrines sur ce sujet. Comme la Bible n’a pas été rédigée en français, nous ne retrouvons pas le mot français prédestination, mais de nombreux mots grecs expriment ce concept. Nous devons donc nous tourner vers ces termes grecs pour comprendre ce qu’est la prédestination.

Prenons par exemple le mot grec proorizō. Le préfixe pro correspond au préfixe français « pré- », qui désigne quelque chose qui a lieu à l’avance, en amont, ou avant une autre chose qui se produira plus tard, tandis que orizō signifie « nommer, désigner, assigner ». Par conséquent, proorizō fait référence au fait d’ordonner ou de désigner quelque chose à l’avance.

Sans être fatalistes ni penser que tout ce qui arrive se déroule selon un principe directeur impersonnel, nous pouvons dire que nous avons tous une destinée. Grâce à la providence de Dieu, cette destinée est dans sa main et dans son plan éternel. Avant la naissance de chacun d’entre nous, notre destinée a été écrite par Dieu, bien avant la fondation de la terre.

En ce qui concerne le salut, la doctrine de la prédestination n’implique pas que chaque détail de notre vie est prédestiné par Dieu. Au contraire, cette doctrine traite plutôt de notre destinée ultime. Certes, chaque détail de notre vie est prédestiné par Dieu, mais cette vérité relève plutôt de la doctrine de la providence divine. La doctrine de la prédestination, dans sa forme initiale, n’inclut pas ces éléments particuliers dans son champ d’application (bien qu’ils soient vrais). Elle ne traite que de notre destinée finale et de l’endroit où nous irons à notre mort.

La plupart des chrétiens s’accorderont à dire que Dieu n’est pas simplement un spectateur des événements humains, mais qu’il décide, en un sens, de certaines choses à l’avance. La plupart des gens affirmeront aussi que Dieu a ce que nous appelons la préconnaissance, car ce concept est profondément ancré dans chaque page de la Bible. Dieu connaît toutes choses à l’avance, et il les connaît parfaitement. Mais dès que l’on commence à sonder l’étendue de cette préconnaissance et que l’on tente de l’expliquer, les chrétiens se divisent alors en camps opposés, et c’est à ce moment-là que les débats philosophiques émergent.

Bien que toutes les Églises et tous les chrétiens ne soient pas d’accord sur la nature de la prédestination, nous pouvons néanmoins nous accorder sur un point : Dieu, dans sa souveraineté, prédestine d’une certaine manière ceux qui iront au paradis et ceux qui n’y iront pas. C’est la définition la plus simple de la prédestination. Et le point central de cette doctrine est le principe d’élection que nous trouvons dans le Nouveau Testament, selon lequel c’est Dieu qui choisit si nous allons au paradis ou en enfer.

Pratiquement tous les chrétiens croient en la prédestination. Mais la manière exacte dont Dieu décide à l’avance de notre destinée ultime est loin de faire l’objet d’un accord universel parmi les chrétiens pratiquants ou dans les credo historiques. Il existe de nombreuses doctrines différentes de la prédestination. Sans entrer dans les subtilités et les particularités des différents points de vue qui dépasseraient le cadre de cet ouvrage, nous devons mentionner les deux points de vue les plus répandus à ce sujet dans l’histoire de l’Église.

Le premier de ces points de vue les plus courants – et peut-être le point de vue majoritaire dans le monde chrétien d’aujourd’hui – est celui de la prescience. La prescience désigne simplement le fait de connaître à l’avance. Ce principe de prescience comme base de la prédestination soutient que Dieu a, de toute éternité, arpenté les couloirs de l’histoire et savait à l’avance qui répondrait et qui ne répondrait pas positivement à l’invitation de Christ et de son Évangile. Il savait que certains accepteraient Christ et d’autres non. De toute éternité, Dieu a ordonné que chaque personne disant oui à l’Évangile aille au ciel, en raison de sa foi connue à l’avance.

Le point de vue augustinien, aussi appelé point de vue de la Réforme, soutient tout autre chose. Selon lui, ce n’est pas tant que Dieu, de toute éternité, prédestine au salut ceux qui croient, mais qu’il prédestine à la croyance ceux qui croient. Autrement dit, sans la grâce de Dieu, personne ne serait jamais amené à croire. Les gens ne sont donc pas prédestinés à aller au ciel parce qu’ils croient ou parce que Dieu sait qu’ils croiront ; ils sont prédestinés à croire pour aller au ciel.

Le point de vue augustinien soutient que dès la fondation du monde – avant que quiconque ne soit né ou ne fasse quoi que ce soit – Dieu a décidé qui serait amené à la foi et qui ne le serait pas. La destinée éternelle est enracinée et fondée dans la grâce divine. Ceux qui ne sont pas prédestinés dès la fondation du monde ne parviendront pas à la foi, et leur destination ne sera pas le paradis.

Ces deux points de vue sont très différents. Dans le premier, le facteur décisif concernant la destinée d’une personne repose sur l’individu. Dans le second, le facteur décisif est entre les mains de Dieu. Ceux qui adoptent ce dernier point de vue se trouvent alors confrontés à des questions concernant l’équité et la justice de Dieu, ainsi que le libre arbitre de l’homme. Ceux qui adoptent le premier point de vue doivent quant à eux s’interroger sur les raisons pour lesquelles certaines personnes acceptent l’Évangile et d’autres non. Est-ce parce que certains sont plus justes, intelligents ou méritants que d’autres ?

L’étude de la prédestination nous oblige à poser des questions difficiles et à y répondre. Par ailleurs, elle nous force à examiner de plus près le caractère de Dieu et notre propre état de pécheur. Nous ne passerons jamais « trop de temps » à étudier le caractère de Dieu. Nous n’aurons jamais une compréhension « trop développée » de la grâce de Dieu ou de sa grandeur. Cela ne nous fera jamais de mal d’explorer les profondeurs de notre propre faiblesse humaine, bien au contraire. Pratiquement toutes les erreurs qui se sont immiscées dans l’Église et sa doctrine sont liées à l’un ou l’autre de ces faux pas : la sous-estimation de la grandeur de Dieu, ou bien la surestimation de la grandeur de l’homme.


Cet article est extrait du livre : « Qu’est-ce que la prédestination? » de R.C. Sproul