Le Saint-Esprit, notre avocat

Au xixe siècle, deux philosophes européens ont exercé une influence considérable sur leur culture et sur l’histoire après eux. Tous deux se sentaient très concernés par la corruption de la civilisation occidentale et ils décrivaient l’Europe de leur époque comme étant décadente. Mais ce qu’ils croyaient être les raisons de cette décadence ainsi que les solutions qu’ils proposaient étaient très différentes chez l’un et chez l’autre.

L’un d’eux, Søren Kierkegaard (1813-1855), était un philosophe danois. Il se plaignait du fait que l’on n’appliquait plus le christianisme de manière constante à la vie quotidienne et il voyait en cela ce qui provoquait la décadence de la civilisation à son époque. Il croyait qu’une grande part du christianisme était devenu une orthodoxie sans vie, sans passion et détachée des problèmes quotidiens. Comme il le disait, son époque était « pitoyable ». C’est la raison pour laquelle il réclamait le retour de la passion dans la vie chrétienne. Lorsqu’il se sentait découragé, il aimait se tourner vers les pages de l’Ancien Testament, car il y trouvait des personnes lui apparaissant plus réelles. Il y voyait des saints et des pécheurs, et il n’y avait rien de factice, de trompeur ou d’artificiel en eux. Dieu travaillait vraiment dans leur vie, et eux, à leur tour, éprouvaient une véritable passion pour lui.

Un collègue professeur m’a un jour demandé : « Comment évalues-tu la solidité de l’Église aujourd’hui ? » J’ai répondu qu’il m’apparaissait de plus en plus clairement que de nombreux membres de l’Église ont une foi vibrante, qu’ils croient aux doctrines fondamentales de l’Écriture, et ainsi de suite, mais que peu d’entre eux considèrent la foi chrétienne comme une mission, comme une préoccupation profonde dans leur vie. Or, c’est justement ce que Kierkegaard aurait souhaité voir.

L’autre philosophe qui décriait la mort de la civilisation était l’Allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900). Ce dernier croyait fermement que le plus grand problème de la civilisation occidentale était l’influence néfaste du christianisme. Il était convaincu que l’éthique de ces croyances, avec ses vertus de douceur et de bonté, avait émasculé la race humaine. Il estimait que le christianisme niait et minait la passion humaine la plus fondamentale – la volonté de puissance. La vie, disait Nietzsche, est une lutte de pouvoir. Nous sommes tous engagés dans une entreprise compétitive, cherchant à dominer autrui.

Nietzsche appelait donc à une nouvelle civilisation qui serait portée par un nouveau type d’être humain, une sorte de héros existentiel, qu’il appelait l’Übermench, le « surhomme ». Il le décrivait comme étant une personne qui construirait sa maison sur les pentes du volcan Vésuve et qui habiterait donc à un endroit pouvant être détruit à tout moment, si le volcan entrait en éruption. De même, il naviguerait sur des mers inconnues. Il pourrait rencontrer des monstres marins ou des tempêtes qui feraient chavirer son navire et qui le tueraient, mais cela ne freinerait pas le surhomme.

Selon la conception de Nietzsche, le surhomme serait avant tout un conquérant dont la principale vertu est le courage, car ce philosophe pensait que c’était cette qualité qui manquait essentiellement dans la culture du xixe siècle. Mais lorsque Nietzsche parlait de courage, il lui donnait un sens inhabituel. Il réclamait un « courage dialectique ». En philosophie, le terme dialectique se rapporte à un état de contradiction, dans lequel une chose constitue l’antithèse d’une autre. Ces éléments ne peuvent jamais être réconciliés. Qu’est-ce donc que le courage dialectique ? Nietzsche était arrivé à la conclusion que la vie est, en fin de compte, nihiliste, c’est-à-dire dénuée de sens. Il croyait que Dieu était mort et que, puisqu’il n’y a pas de divinité, il n’existe pas de bonté ou de vérité absolues. Ainsi l’existence humaine n’aurait pas de signification objective ; le sens de la vie ne serait que celui que nous voulons lui donner. Dans un monde qui n’est pas tant hostile qu’indifférent, nous devrions donc faire preuve de courage et c’est ce que ferait le surhomme. C’est le courage dialectique, face à l’indifférence de l’univers. Nietzsche disait en substance : « La vie n’a pas de sens, alors armez-vous de courage. Et même si ce dernier n’a pas plus de sens, ayez-en quand même. »

« Un autre aide »

Quel est le lien entre Kierkegaard et Nietzsche d’une part, et l’action du Saint‑Esprit d’autre part ? Dans la chambre haute, la nuit précédant sa crucifixion, Jésus a donné à ses disciples quelques promesses essentielles concernant l’Esprit Saint. Il leur a dit qu’il était sur le point de partir et qu’ils ne pouvaient pas l’accompagner, mais il leur a promis ceci : « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre aide, afin qu’il soit éternellement avec vous » (Jn 14.16, BAN). Certaines traductions utilisent le mot « aide », tandis que d’autres utilisent le mot « consolateur ». Le mot grec traduit par l’un ou l’autre de ces vocables est parakletos ; c’est de lui que vient le terme français paraclet. Ce mot comprend un préfixe, para-, qui signifie « à côté », et une racine qui est une forme du verbe kletos et qui signifie « appeler ». Un parakletos est donc une personne appelée à se tenir aux côtés d’une autre. Ce terme s’appliquait généralement à un avocat, mais pas à n’importe lequel. D’un point de vue technique, le parakletos était l’avocat de la famille qui avait un mandat permanent. Chaque fois qu’un problème survenait dans la famille, le parakletos était appelé, et il venait immédiatement pour aider à trouver une solution. Il en va de même dans notre relation avec le Saint‑Esprit. Nous faisons partie de la famille de Dieu, et l’avocat de la famille est le Saint‑Esprit lui-même. Il est toujours présent pour nous accompagner et nous aider dans les moments difficiles.

Je pense que la plupart des traductions françaises du Nouveau Testament ne traduisent pas correctement parakletos, en particulier celles qui le traduisent par « consolateur ». Ce choix de mot passe à côté de l’essentiel. Lorsque Jésus a dit qu’il demanderait au Père d’envoyer aux disciples un autre paraclet, il ne parlait pas de quelqu’un qui viendrait guérir leurs blessures lorsqu’ils seraient meurtris et affligés. Bien sûr, l’une des tâches principales du Saint‑Esprit est d’apporter la consolation aux cœurs brisés ; il est un baume en Galaad lorsque nous sommes en proie au chagrin et dans le deuil. Nous devons toutefois nous rappeler le contexte dans lequel Jésus a promis d’envoyer l’Esprit Saint – il était en train d’annoncer à ses disciples qu’il était sur le point de les quitter. Ils allaient se retrouver sans lui au cœur d’un monde hostile, où ils seraient haïs comme il l’avait lui-même été. Chaque instant de leur vie serait rempli de pression, d’hostilité et de persécution de la part du monde. Personne ne serait prêt à vivre un tel scénario sans un aide à ses côtés.

L’idée est que le Saint‑Esprit vient vers le peuple de Christ non pas pour guérir ses blessures après une bataille, mais pour le fortifier avant et pendant le combat. L’Église ne fonctionne pas tant comme un hôpital que comme une armée, et le Saint‑Esprit vient pour renforcer les chrétiens, pour leur assurer la victoire ou la conquête.

« Plus que vainqueurs »

Nietzsche disait donc : « La vie n’a pas de sens, mais ayez quand même du courage. » Jésus a également exhorté son peuple à être courageux face aux difficultés, à l’adversité et à l’hostilité, mais il ne l’a pas appelé à un courage sans fondement. Comme nous le savons, Jésus a dit à ses disciples : « Prenez courage » (Jn 16.33). Cependant, il ne leur a pas simplement dit de faire cela sans raison. Il leur a expliqué pourquoi ils devraient avoir un sentiment de confiance et d’assurance vis-à-vis de la vie chrétienne. Il a dit : « Prenez courage, j’ai vaincu le monde. »

Nietzsche voulait un surhomme, un conquérant. Il aurait dû tourner son regard vers Christ. Jésus a vaincu le monde, et il l’a fait par la puissance du même Esprit que celui qu’il envoie à son peuple. Le Saint‑Esprit vient donner force et puissance au peuple de Dieu. C’est pourquoi les Écritures disent : « Nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Ro 8.37). Cette affirmation se trouve un cran au-dessus de celle de Nietzsche.

L’œuvre du Saint‑Esprit complète donc celle de Christ, qui a été le premier paraclet, venu nous fortifier par sa mort expiatoire. Aujourd’hui, c’est le Saint‑Esprit qui nous donne les moyens de vivre la vie à laquelle Christ nous a appelés.


Cet article est extrait du livre : «Qui est le Saint-Esprit ?» de R.C. Sproul