Les clés du royaume de Dieu (Jonathan Leeman)

Qui a l’autorité de déclarer publiquement qui en est citoyen et qui n’en fait pas partie ? Commençons par Pierre et les apôtres.

Un jour, Jésus a mis en garde les apôtres contre l’enseignement des dirigeants d’Israël (Mt 16.1‑12). Leur mandat ayant expiré, ils devraient bientôt libérer les lieux et transporter leurs dossiers dans des boîtes. Puis il leur a demandé de leur dire qui il était, selon eux. Pierre, probablement au nom de tous les apôtres, a répondu : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (v. 16). Jésus a confirmé la réponse de Pierre en lui disant qu’il l’avait reçue du « Père qui est dans les cieux ». Puis il a ajouté :

Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur ce roc, je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16.18,19).

C’est la première fois que Jésus utilise le mot Église. Il parle ici de l’Église universelle : l’assemblée de tous les chrétiens de toutes les époques qui se réuniront à la fin de l’Histoire. Jésus édifiera cette assemblée de la fin des temps.

Comment l’édifiera-t-il ? Il l’édifiera « sur ce roc ». Quel roc ? Les théologiens ont longtemps débattu à savoir si le roc était la confession de Pierre ou Pierre lui-même. En fait, je pense qu’il s’agit des deux. Le théologien Edmund Clowney a écrit ceci : « La confession ne peut être séparée de Pierre, et Pierre ne peut être séparé de sa confession1. » Jésus n’utilise pas n’importe quelle parole ou n’importe qui pour bâtir son Église, il utilise des gens qui croient aux vérités de l’Évangile et à la Parole même qui s’est faite chair. Jésus va construire l’Église sur des professants.

Jésus donne ensuite à Pierre et aux apôtres les clés du royaume, ce qui confère à Pierre le pouvoir de faire ce que Jésus a fait avec lui : agir en tant que représentant officiel de Dieu sur la terre pour valider les vraies confessions de l’Évangile et les vrais professants.

Les interactions entre le ciel et la terre dans ce passage sont étonnantes. Pierre confesse la véritable identité de Jésus, et Jésus dit que la bonne réponse de Pierre lui a été révélée par le Père qui est dans les cieux. Jésus était sur la terre, mais il parlait au nom du ciel. Puis, il enchaîne en autorisant Pierre à faire de même : représenter ce qui est lié et délié dans le ciel en le liant et en le déliant sur la terre !

Les experts de la Bible parlent parfois de « lier et de délier » comme d’une activité juridictionnelle ou rabbinique, ce qui nous aide à comprendre cette expression. Par exemple, un rabbin peut décider si une loi s’applique à (lie) une personne en particulier dans certaines circonstances. Jésus a donné aux apôtres ce genre d’autorité : l’autorité de se tenir devant un professant, de considérer sa confession et sa vie, et d’annoncer un jugement officiel au nom de Dieu. Est-ce la bonne confession ? Est-ce un véritable professant ? Autrement dit, Dieu avait conféré son autorité aux apôtres pour qu’ils déclarent qui était un citoyen du royaume et le représentait sur terre.

Je ne dis pas que Jésus a établi un « programme d’adhésion à l’Église » dans Matthieu 16, mais, sans conteste, il a établi l’Église (c’est-à-dire ses membres), et il lui a donné l’autorité de continuer de s’édifier elle-même, c’est‑à‑dire d’accepter et de destituer des membres. Son autorité lui permet d’évaluer les paroles et les actes d’une personne, et de rendre un jugement.

Deux chapitres plus tard, Jésus utilise le mot Église pour la deuxième et dernière fois. On voit la mise en action de l’autorité que représentent les clés :

Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. Mais, s’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la déclaration de deux ou de trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église ; et s’il refuse aussi d’écouter l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain. Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Je vous dis encore que, si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander une chose quelconque, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux

(Mt 18.15-20).

Le passage débute avec l’image d’un frère qui a péché ; son péché ne correspond pas à sa confession de foi. Ensuite, Jésus recommande quatre étapes. La première rencontre se fait en privé. Si le pécheur se repent, sa confession de foi retrouve sa crédibilité et le processus s’arrête là. Sa vie correspond à sa confession. Il représente de nouveau Jésus, à juste titre.

La deuxième rencontre inclut deux ou trois témoins, comme dans le cadre juridictionnel de l’Ancien Testament. L’Église tout entière ou l’assemblée s’implique dans la troisième rencontre. Si le pécheur ne se repent toujours pas, on passe à la quatrième étape, qui consiste à exclure la personne de la communauté de l’alliance en le traitant comme un étranger. Parfois, cela s’appelle la discipline d’Église ou l’excommunication.

Jésus invoque de nouveau les clés du royaume : tout ce que l’Église lie sur terre sera lié dans les cieux, et ce que l’Église délie sur la terre sera délié dans les cieux. Jésus ne parle pas des apôtres ou de l’Église universelle ici. Il parle d’une Église locale. L’Église locale a donc reçu, semble-t-il, les clés apostoliques du royaume. En conséquence, l’Église locale détient l’autorité céleste pour déclarer qui est citoyen du royaume et, par conséquent, qui représente Dieu sur la terre.

Jésus a autorisé l’Église locale à se tenir devant un professant, à examiner sa confession, à considérer sa vie et à prononcer un jugement officiel au nom de Dieu. Est-ce la bonne confession ? Est-ce un véritable professant ? C’est exactement ce que Jésus a fait avec Pierre. L’Église fait de même avec les ordonnances établies dans Matthieu 26 et Matthieu 28, à savoir la sainte cène et le baptême.

Matthieu 18, qui parle même davantage de la terre et du ciel que ne le fait Matthieu 16, présente une image claire de cette autorité dans le cadre de la discipline d’Église. Néanmoins, la possibilité de retirer son adhésion à une personne suppose que l’on a l’autorité d’évaluer ses paroles et ses actes avant de rendre un jugement. Cette autorité prend effet dès qu’une personne franchit les portes de l’église et déclare, comme Pierre, que Jésus est le Christ.

L’autorité représentative de l’État, comme nous l’avons dit au chapitre 1, apparaît le plus clairement dans son droit de vie ou de mort sur une personne. En ce qui concerne l’Église, son autorité représentative dans le royaume de Christ apparaît le plus clairement dans son droit de retirer à une personne son statut de membre de l’Église. Dans les deux cas, la pleine mesure de l’autorité institutionnelle est indiquée par le pouvoir de décider du sort d’une personne.

Pourtant, c’est la même autorité qui s’exerce lorsque « deux ou trois sont assemblés » au nom de Jésus (Mt 18.20) et que l’on baptise une personne « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28.19) : on autorise la personne à être un disciple officiel engagé. Par conséquent, quand il est question de former un chrétien à devenir disciple de Christ, l’Église locale est la plus haute autorité en la matière sur terre.

Non, elle n’est pas revêtue d’une autorité absolue, pas plus que l’État. Cependant, Jésus veut que les chrétiens se soumettent à la supervision des Églises locales, car ils sont des citoyens de son royaume.

L’Église locale va-t-elle utiliser les clés à la perfection ? Non. Elle va faire des erreurs, tout comme chaque autorité instituée par Jésus commet des erreurs. L’Église locale sera donc une représentation imparfaite de l’assemblée de Christ à la fin des temps. Cependant, le fait qu’elle commet des erreurs, tout comme le font les présidents et les parents, ne signifie pas qu’elle ne détient pas de mandat autorisé.

Cela veut-il dire que ce qu’une Église locale fait sur la terre change réellement le statut d’une personne au ciel ? Non, le travail de l’Église ressemble à celui d’un ambassadeur ou d’une ambassade. Rappelez-vous ce que je vous ai dit sur la visite que j’ai rendue à l’ambassade des États-Unis à Bruxelles, quand mon passeport avait expiré. L’ambassade n’a pas fait de moi un citoyen ; elle l’a officiellement attesté, chose que je n’aurais pas pu faire. Il en est de même pour une Église locale.


Cet article est tiré du livre : Être membre d’une église locale de Jonathan Leeman