Le salut n’exclut pas le besoin (Paul Tripp)

Les chrétiens ont-ils encore besoin d’aide ? Le ministère personnel s’avère-t-il nécessaire à ceux qui sont pardonnés par la grâce de Dieu, adoptés dans sa famille et en qui le Saint-Esprit habite ? Le ministère public de la Parole ne suffit-il pas ? En accentuant le ministère personnel, emboîtons-nous simplement le pas à la culture ambiante axée sur la thérapie ?

Un jour, alors que j’enseignais les principes discutés dans le présent livre, une femme m’a demandé : « Puisque je possède la Bible et que le Saint-Esprit habite en moi, pourquoi aurais-je besoin des conseils des autres ? » De quelle manière auriez-vous répondu à sa question? Il est vrai que le Saint-Esprit est l’Admirable Conseiller de l’Église. Grâce à lui, nous comprenons la Parole de Dieu, il nous convainc de péché, œuvre en nous afin que nous obéissions de tout cœur à Dieu et nous permet de répondre à son appel pour notre vie. Cependant, cela signifie-t-il que le ministère individuel soit superflu ? Vous pourriez employer des arguments semblables pour nier la nécessité de l’adoration communautaire et de la prédication de la Parole. Une vérité importante consignée dans l’Épître aux Hébreux échappait à cette femme : « Prenez donc garde, frères, que personne parmi vous n’ait un cœur méchant et incrédule, au point de se détourner du Dieu vivant. Mais exhortez-vous, chaque jour ; aussi longtemps qu’on peut dire : Aujourd’hui ! afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché » (Hébreux 3.12-13).

Ces deux versets sont brefs, mais extrêmement riches. D’abord, notez que ce passage est écrit à des « frères », c’est-à-dire, des croyants. L’auteur traite de sujets faisant partie de la vie chrétienne normale. Il ne s’adresse pas à des incroyants ou à des croyants d’une classe à part. L’auteur nous prévient qu’une réalité présente dans chacune de nos vies nous expose au danger et requiert l’exercice d’un ministère quotidien les uns envers les autres.

Ensuite, examinons le contenu de l’avertissement : « Prenez garde que personne parmi vous n’ait un cœur méchant et incrédule – qui se détourne et finisse par s’endurcir. » Puisque l’auteur a cru bon d’émettre une telle recommandation, nous devons y porter une grande attention. Son exhortation décrit un processus que j’ai souvent vu à l’œuvre chez les personnes que j’ai conseillées.

L’histoire débute lorsqu’un individu cède aux mauvais désirs de son cœur. Un homme marié commence à s’intéresser à une femme au travail. Il se demande ce qu’il découvrirait en la connaissant mieux. Il porte un intérêt croissant à sa tenue vestimentaire, son regard, sa coiffure et sa silhouette. Bien entendu, ses désirs s’éveillent de plus en plus. Il ne pense pas encore à une relation sexuelle ou à quitter sa femme. Il décide de lui parler. Quel mal y a-t-il dans ce geste ? Après tout, elle est une collègue de travail et il se doit d’entretenir avec elle des rapports amicaux.

Bientôt, cependant, leurs repas du midi s’éternisent et on les voit souvent parler ensemble au cours de la journée. Un jour, il lui offre de la reconduire chez elle et passe quarante-cinq minutes assis à ses côtés sur le canapé. Il lui caresse la main et lui avoue que leur amitié est précieuse à ses yeux. En retournant à la maison, il souhaite pour la première fois ne pas être marié. Il prend toutes sortes de précautions en racontant sa journée à sa femme et le soir, allongé à côté d’elle, il ne cesse de penser à une autre. Il adopte progressivement et subtilement un modèle de comportement pécheur, mais il n’y voit toujours rien de mal.

Il se passe pourtant quelque chose à l’intérieur de lui, le Saint-Esprit cherche à le convaincre. Il se sent mal à l’aise, un peu coupable. Il n’éprouve plus la même joie à retrouver sa femme après ses longues journées de travail. Il sait qu’il est beaucoup trop enthousiaste de partir travailler le matin et il critique de plus en plus sa femme, tout en ressentant une affinité particulière à l’endroit de l’autre. Il tente donc de se raisonner et de faire taire sa conscience. Sans s’en rendre compte, il répond à un modèle subtil de comportement pécheur par une attitude subtile d’incrédulité. Il se dit qu’il n’a rien fait de mal. Après tout, pense-t-il, la Bible n’interdit pas à un homme d’entretenir une amitié avec une femme, il est un mari fidèle et n’a pas commis l’adultère. Il se persuade que cette relation est bonne et qu’il devrait même en cultiver d’autres, semblables, dans son milieu de travail. Il a vécu dans son ghetto chrétien assez longtemps et en réalité, Dieu est heureux qu’il crée des liens avec une inconnue.

Il agit donc non seulement selon les mauvais désirs de son cœur, mais se dissocie graduellement de l’interprétation des Écritures qui font pourtant autorité en la matière. Il a cédé au modèle de comportement pécheur qui l’a conduit à l’incrédulité et malgré tout, le couple en difficulté continue à fréquenter assidument l’Église. Cependant, au fond de son cœur, l’homme a commencé à larguer ses amarres spirituelles. Sa foi d’enfant et son obéissance à la Parole lui servaient auparavant d’ancre morale. Il avait auparavant été sensible au ministère du Saint-Esprit, mais à présent, ayant rompu la chaîne le liant à cette ancre, il dérive dangereusement sans même le savoir.

Puisqu’il a rompu ses amarres spirituelles, il dérive encore davantage. Bientôt, lui et sa collègue de travail quittent le bureau à l’heure du midi et ne reviennent pas. Il se porte volontaire pour effectuer des voyages d’affaires lorsqu’il sait qu’elle sera présente. Leur relation devient de plus en plus physique. Le lien qui l’unissait à sa femme s’effrite graduellement, mais il s’en moque. D’ailleurs, il se demande pourquoi il l’a épousée. Il travaille souvent tard le soir et les fins de semaine. Par conséquent, il s’implique de moins en moins dans les activités de l’Église. Il a cessé de lire la Bible et de prier; en fait, il se sent pris au piège dans ce « truc de chrétiens ». Sa femme lui demande instamment de consulter un conseiller avec elle, mais cela ne l’intéresse pas.

Il lui arrive de plus en plus souvent de ne pas même rentrer dormir à la maison. Il raconte à sa femme mensonge sur mensonge. Son pasteur le rencontre et essaie de lui faire entendre raison, mais il reste indifférent, fermé au ministère du Saint-Esprit et rebelle à la Parole. Son cœur s’est endurci. Il n’est plus certain de croire encore à toute « cette histoire » et songe en fin de compte à quitter sa femme.

Péché → incrédulité → détournement → endurcissement du cœur.

Quelle progression terrifiante ! Vous vous demandez comment une telle chose peut se produire dans la vie d’un chrétien. Ce passage répond à la question en décrivant en détail ce qui s’est passé. Remarquez les mots employés en Hébreux 3.13 : « … afin qu’aucun de vous ne s’endurcisse par la séduction du péché ». Ce verset nous indique pourquoi nous avons quotidiennement besoin du ministère des autres croyants.

L’auteur de la lettre aux Hébreux attire notre attention sur la doctrine du péché qui habite en nous. Sur la croix et par sa résurrection, Christ a brisé le pouvoir du péché sur nous (Romains 6.1-14), mais ce dernier demeure toujours présent en nous. Le péché est déraciné progressivement en nous et ce processus se poursuivra jusqu’à son élimination complète. Par contre, en attendant ce jour, nous devons nous rappeler que le péché est trompeur. Il aveugle – et devinez qui le premier se trouve frappé de cécité ? Moi ! Je n’ai aucune difficulté à voir les péchés de ma famille, mais je suis toujours étonné quand le Seigneur me montre le mien ! Christ dépeint cette vérité en Matthieu 7 par une image saisissante. Il affirme que nous pouvons apercevoir une paille dans l’œil de notre voisin, mais ne voyons pas la poutre dans notre propre œil!

Puisque le péché habite encore en nous, notre vision spirituelle demeure partielle. Ce problème influence grandement notre ministère personnel. L’organe de la vue physique n’est pas le plus important. Certains aveugles se débrouillent très bien dans la vie. Cependant, si nous sommes spirituellement aveugles, il nous sera impossible de vivre comme Dieu le demande. C’est pourquoi tant de prophéties de l’Ancien Testament déclarent que le Messie viendrait pour ouvrir les yeux des aveugles. Il est, par conséquent, appelé la Lumière. Les individus atteints de cécité ne peuvent jamais oublier leur déficience et passent beaucoup de temps à apprendre à vivre avec cette limite. La Bible toutefois affirme que nous pouvons être aveugles sur le plan spirituel, mais croire que nous voyons correctement. Nous nous irritons même quand le regard porté sur nous par autrui semble plus lucide que notre vision de nous-mêmes!

L’aveuglement spirituel est une réalité lourde de conséquences pour la communauté chrétienne. Le passage d’Hébreux enseigne expressément que notre perspicacité s’améliore par nos relations mutuelles. J’ai besoin de vous pour me voir et me connaître vraiment. Autrement, je m’appuierai sur mes propres raisonnements, je croirai mes mensonges et me nourrirai de mes illusions. L’image que j’ai de moi-même ressemble à celle que me renverrait un miroir déformant. Afin que je me voie distinctement, vous devez mettre sous mes yeux le miroir de la Parole de Dieu.

Observez de même que cette nécessité s’étend à tous. L’épître ne mentionne pas que certains ont atteint le but fixé, tandis que d’autres travaillent encore à y parvenir. L’auteur ne fait pas allusion à un groupe possédant la maturité spirituelle lui permettant d’exercer en exclusivité le ministère envers une communauté en difficulté. Ce passage enseigne que chacun a besoin du ministère de l’autre. Il nous exhorte à admettre notre propre besoin et à devenir des serviteurs de Dieu aidant notre prochain. J’aime me lever le matin en priant ainsi : « Seigneur, j’ai désespérément besoin d’aide aujourd’hui. Je te prie de mettre sur mon chemin des gens qui me soutiendront et accorde-moi l’humilité nécessaire pour recevoir le secours que tu m’apporteras. » J’ajoute également : « Seigneur, dispose mon cœur à aider quelqu’un à se voir comme tu le vois. »

Étant donné que nous, chrétiens, ne possédons pas une vision spirituelle parfaite, il nous faut développer deux traits de caractère importants. D’abord, le courage empreint d’amour de l’honnêteté. Aimons les autres plus que nous-mêmes et, dotés d’un amour humble et patient, aidons-les à voir ce qui leur échappe. Ensuite, une attitude d’humble reconnaissance. Accueillons chaleureusement nos semblables, sans nous tenir sur la défensive, reconnaissants envers Dieu pour l’aide qu’il nous envoie et soyons prêts à la recevoir – chaque jour !

Cet article est un extrait de Instruments entre les mains du rédempteur par Paul Tripp.