La prédestination est‐elle synonyme de fatalisme ? (R.C. Sproul)

On s’oppose souvent à la prédestination en jugeant qu’il s’agit d’une forme religieuse de fatalisme. Or, si nous examinons le fatalisme au sens littéral, nous constatons qu’il est aussi loin de la doctrine biblique de la prédestination que l’Est est loin de l’Ouest. Le fatalisme signifie littéralement que des sous-divinités capricieuses (les chances) ou plus populairement que les forces impersonnelles du hasard contrôlent les affaires humaines.

La prédestination ne repose toutefois ni sur une conception mythique impliquant des déesses en train de jouer avec notre vie ni sur une conception de notre destinée que la collision hasardeuse d’atomes contrôlerait. La prédestination est enracinée dans les attributs d’un Dieu personnel et juste, le Seigneur souverain de l’Histoire. L’idée que ma destinée repose en fin de compte entre les mains d’une force indifférente ou hostile est terrifiante. Le fait qu’elle repose entre les mains d’un Dieu juste et bienveillant est une autre histoire. Les atomes n’ont aucune justice en eux-mêmes ; ils sont au mieux amoraux. Dieu, quant à lui, est parfaitement saint. Je préfère donc que ma destinée dépende de lui.

La grande superstition des temps modernes est axée sur le rôle que le hasard joue dans les affaires humaines. Le hasard constitue la nouvelle divinité que l’esprit moderne adore. Il habite le château des dieux. On lui reconnaît le mérite d’avoir créé l’univers et d’avoir tiré l’humanité de la boue. Le hasard est un schibboleth. Il s’agit d’un mot magique que l’on emploie pour expliquer l’inconnu. C’est le pouvoir de causalité préféré de ceux qui attribuent la puissance à n’importe quoi ou à n’importe qui sauf à Dieu. Cette attitude superstitieuse à l’égard du hasard n’a cependant rien de nouveau. Nous lisons au sujet de son attrait dès le début de l’histoire biblique.

Rappelons-nous l’incident dans l’histoire des Juifs où les Philistins ont capturé l’arche sacrée de l’alliance. Ce jour-là, la mort a visité la maison d’Éli et la Gloire a quitté Israël. Les Philistins jubilaient en raison de leur victoire, mais ils n’ont pas tardé à maudire ce jour. Partout où ils emportaient l’arche, des catastrophes s’abattaient sur eux. Le temple de Dagon a subi l’humiliation. Des tumeurs leur ont rongé le corps. Pendant sept mois, les Philistins ont trimbalé l’arche d’une grande cité à l’autre en produisant des résultats catastrophiques dans chacune d’elles.

En désespoir de cause, les rois des Philistins se sont consultés et ont résolu de renvoyer l’arche aux Juifs avec une rançon destinée à apaiser la colère de Dieu. Les dernières paroles de ces rois réunis en conseil sont dignes de mention :

Suivez-la du regard : si elle monte par le chemin de sa frontière vers Beth-Schémesch, c’est l’Éternel qui nous a fait ce grand mal ; sinon, nous saurons que ce n’est pas sa main qui nous a frappés, mais que cela nous est arrivé par hasard (1 S 6.8,9).

Nous avons déjà mentionné que le hasard ne peut rien faire parce qu’il n’est rien. Permettez-moi d’apporter quelques précisions. Nous employons le mot hasard pour décrire des possibilités mathématiques. Par exemple, lorsque nous jouons à pile ou face, nous disons qu’il y a cinquante pour cent de chance que la pièce tombe sur face. Si nous choisissons face et qu’elle tombe sur pile, il se peut que nous évoquions la malchance et un hasard défavorable.

Quelle influence le hasard a-t-il sur le jeu de pile ou face ? Qu’est-ce qui fait tomber la pièce sur pile ou face ? Le hasard changerait-il si nous savions par quel côté la pièce commencerait, quelle pression le pouce exercerait sur elle, quelle densité aurait l’atmosphère et combien de tours la pièce ferait dans les airs ? Si nous le savions, notre capacité à prédire le résultat excéderait de loin les cinquante pour cent de chance.

La main est toutefois plus vite que l’œil. Il nous est impossible de calculer tous ces facteurs dans un jeu de pile ou face normal. Étant donné que nous pouvons réduire le résultat possible à deux, nous simplifions les choses en parlant de chance ou de hasard. N’oublions toutefois pas que le hasard n’exerce aucune influence sur ce jeu. Pourquoi pas ? Comme nous le répétons, le hasard ne peut rien faire puisqu’il n’est rien. Ce n’est pas une chose. Avant que quelque chose puisse exercer un pouvoir ou une influence, il lui faut d’abord être quelque chose. Ce doit être un genre d’entité, physique ou non physique. Or, le hasard n’est ni l’un ni l’autre. Il s’agit simplement d’une construction mentale. Il n’a aucun pouvoir parce qu’il n’a pas d’existence. Il n’est rien.

Dire que quelque chose s’est produit par hasard revient à dire qu’il s’agit d’une coïncidence. Cela n’est qu’une admission du fait que nous ne pouvons percevoir toutes les forces et tous les pouvoirs causaux à l’œuvre dans un événement. Comme il nous est impossible de voir à l’œil nu tout ce qui se passe dans un jeu de pile ou face, de même les affaires complexes de la vie échappent à notre capacité exacte de les assimiler. Nous nous inventons donc le mot chance ou hasard pour les expliquer. En réalité, le hasard n’explique rien. Il s’agit simplement d’un mot que nous employons pour dissimuler notre ignorance.

J’ai déjà écrit au sujet de la causalité, et un professeur de philosophie m’a écrit pour se plaindre de la compréhension naïve que j’avais de la loi de la causalité. Il m’a reproché de négliger de prendre en compte des « événements non causés ». Je l’ai remercié de sa lettre et je lui ai dit que je serais heureux de considérer son objection s’il me récrivait pour me fournir un seul exemple d’événement non causé. J’attends toujours. En fait, j’attendrai éternellement, car même Dieu ne peut voir se produire un événement non causé. Attendre un événement non causé revient à attendre un cercle carré.

Le hasard ne contrôle pas notre destinée. Je le dis de manière dogmatique avec tout l’aplomb dont je suis capable. Je sais que ma destinée ne tient pas au hasard parce que je sais que le hasard ne peut rien contrôler. Le hasard ne peut rien contrôler du fait qu’il n’est rien. Quelles sont les chances que l’univers doive sa création au hasard ou que le hasard contrôle notre destinée ? Elles sont nulles.

Le fatalisme trouve son expression la plus populaire dans l’astrologie. On compile notre horoscope sur la base des mouvements stellaires. Les gens de notre société en savent plus sur les douze signes du zodiaque que sur les douze tribus d’Israël. Il n’en demeure pas moins que Ruben a plus à voir dans mon avenir qu’Aquarius et Juda que Gemini.


Cet article est tiré du livre : Choisis par Dieu de R. C. Sproul