Deux perspectives du thème de l’idolâtrie (David Powlison)

La notion d’idolâtrie émerge le plus souvent lors de discussions relatives à l’adoration réelle d’images physiques ou à la création de faux dieux. Mais les Écritures abordent au moins deux grandes perspectives du thème de l’idolâtrie qui sont pertinentes à la présente analyse.

Un problème intérieur

Tout d’abord, la Bible intériorise le problème. « Les idoles du cœur » sont dépeintes explicitement dans Ézéchiel 14.1-8. L’adoration d’idoles tangibles est l’expression inquiétante d’un cœur qui a déjà abandonné l’Éternel, son Dieu[1]. La métaphore des « idoles du cœur » en est une parmi tant d’autres qui décrivent l’usurpation du trône qui appartient à Dieu seul dans le cœur humain. Cette métaphore établit un lien indissoluble entre les caractéristiques particulières du cœur et celles du comportement : mains, langue, et tous les autres membres.

De même, le premier grand commandement qui consiste à « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée, et de toute sa force » illustre l’aspect intérieur essentiel de la loi en ce qui a trait à l’idolâtrie. Le langage de l’amour, de la confiance, de la crainte, de l’espérance, des aspirations et du service, termes qui dépeignent tous une relation avec le Dieu véritable, est constamment employé dans la Bible pour décrire nos amours illégitimes, nos faux espoirs et nos faux maîtres, ainsi que nos confiances, nos craintes et nos quêtes illusoires.

L’Ancien Testament utilise le mot « idolâtrie » pour définir notre éloignement de Dieu. Le Nouveau Testament emploie plutôt le terme « désirs » (epithumiai) pour décrire ce même éloignement[2]. Les deux termes résument l’ultime problème des êtres humains. Ainsi, le langage de la problématique des « désirs » dans le Nouveau Testament est un prolongement spectaculaire du dixième commandement qui interdit la convoitise (epithumia). En outre, le dixième commandement intériorise le problème du péché et le rend « psychodynamique ». Il met à nu la nature cupide et exigeante du cœur humain que Paul décrit de manière puissante dans Romains 7. Par conséquent, il n’est pas étonnant que le Nouveau Testament fusionne le concept de l’idolâtrie et celui des désirs immodérés qui régissent l’existence.

L’idolâtrie est un problème du cœur, une métaphore qui illustre la convoitise de l’être humain, ses envies insatiables, ses désirs ardents et ses exigences cupides[3].

Un problème social

Deuxièmement, la Bible aborde l’idolâtrie comme un élément central du contexte social, c’est-à-dire « le monde » qui nous façonne et nous modèle. Le monde est une « foire aux vanités », tel que l’exprime de façon remarquable John Bunyan dans Le voyage du pèlerin[4]. Le livre de Bunyan en entier, et plus précisément la section qui évoque la foire aux vanités, dépeint l’interaction entre de puissants modèles sociaux séduisants et intimidants qui exercent leur influence sur le comportement, et l’autodétermination caractéristique du cœur de Chrétien. Ce dernier servira-t-il le Dieu vivant ou se laissera-t-il subjuguer par l’une ou l’autre des idoles parmi la multitude changeante de faux dieux que fabriquent sa femme, ses voisins, ses connaissances, ses ennemis, ses congénères issus de la même société humaine idolâtre… et enfin, son propre cœur[5] ?

Or, les implications des questions contemporaines associées au counseling suscitent des tensions puisque l’idolâtrie est à la fois générée de l’intérieur et inspirée par l’extérieur. Bien sûr, la Bible n’aborde pas nos problèmes contemporains dans le jargon de la psychologie ou en se référant aux résultats de nos observations[6]. Par exemple, la Bible ne fait aucune allusion aux éléments caractéristiques que les psychologues décrivent de nos jours comme une « relation familiale ou conjugale dysfonctionnelle ». Elle ne les mentionne pas, simplement parce qu’elle ne place pas ces fragments particuliers du comportement humain et de l’influence réciproque sous le microscope. Cette « lacune » ne concerne que l’application spécifique.

Par ailleurs, les catégories bibliques englobent la manière dont les individus s’influencent mutuellement, soit pour le bien, soit pour le mal, à l’intérieur d’un système familial ou d’un autre groupe, quelle qu’en soit la taille. Par exemple, il serait plus juste de nommer « idolâtrie affective » le modèle auquel on appose souvent l’étiquette de « dépendance affective ». Dans le cas d’une « relation d’idolâtrie affective », le modèle typique d’idolâtrie de l’un renforce celui de l’autre et ils rivalisent l’un avec l’autre. Ils s’harmonisent de manière étrange, créant des boucles de rétroaction extrêmement destructrices.

Ainsi, le mari alcoolique typique et sa femme qui tente de le sauver sont les esclaves d’un système d’idolâtrie dont les composantes ne se complètent que trop bien. Il existe de nombreuses configurations possibles pour ce modèle courant de faux dieux. La consommation d’alcool par le mari renferme une constellation d’idoles, notamment l’asservissement au plaisir, l’évasion par la recherche d’un faux sauveur capable de le délivrer des douleurs et des frustrations de sa vie, le rôle du juge arrogant et irritable qui méprise l’attitude subordonnée et dépendante de sa femme, l’autoflagellation périodique liée aux remords… À cette liste s’ajoute la confiance en l’être humain, qui pousse cet homme à chercher sa valeur personnelle dans l’acceptation de ses compagnons de bar, et ainsi de suite.

D’autre part, le modèle d’idolâtrie que dénote le comportement de sauvetage de la femme pourrait combiner les rôles du sauveur martyr de son mari et de sa famille et celui du juge orgueilleux et présomptueux de l’iniquité de son mari. Une confiance démesurée en l’être humain l’amène à surestimer l’opinion de ses amies. De plus, la crainte de l’homme génère chez elle un désir excessif pour l’amour et l’affection d’un homme, ce qu’elle considère comme essentiel à sa survie. Et l’énumération pourrait se poursuivre encore longtemps.

Chacune de leurs idoles (de même que les comportements, pensées et émotions qu’elles génèrent) est « logique » au sein de ce système d’idolâtrie. La foire aux vanités miniature dans laquelle ils vivent est composée de séductions et de dangers de toutes sortes. Leurs idoles sont parfois incarnées, inculquées et renforcées par l’autre ou les autres personnes concernées. La critique incessante de la femme et la colère du mari se reflètent et s’amplifient l’une l’autre. Les compagnons de bar du mari et les amies de la femme encouragent leur suffisance et leur apitoiement sur leur sort respectif. Les idoles sont parfois réactives et compensatoires pour l’autre : il réagit à ses remarques désobligeantes en consommant de l’alcool, elle réagit à sa consommation d’alcool en tentant de le sauver et de le changer. La foire aux vanités constitue un très séduisant… enfer sur terre !

Cet article est tiré du livre : Les idoles du cœur et la foire aux vanités de David Powlison


[1] Le « cœur » est le terme biblique le plus complet en ce qui a trait à la direction de notre vie, notre comportement, nos pensées, etc. Voir Proverbes 4.23, Marc 7.21-23, Hébreux 4.12s, etc. La métaphore de « la circoncision ou de l’incirconcision du cœur » est similaire à celle des « idoles du cœur » : une activité religieuse extérieure est employée pour dépeindre la dynamique motivationnelle intérieure que reflètent les actes extérieurs.

[2] Voir les déclarations sommaires de Paul, Pierre, Jean et Jacques, dans Galates 5.16s ; Éphésiens 2.3 et 4.22 ; 1 Pierre 2.11 ; 4.2 ; 1 Jean 2.16 ; Jacques 1.14s, où epithumiai est le terme fourre-tout pour décrire ce qui constitue notre problème.

[3] Éphésiens 5.5 et Colossiens 3.5.

[4] John Bunyan, Le voyage du pèlerin, La Bégude de Mazenc, France, Croisade du Livre Chrétien, s.d.

[5] Mon commentaire concerne ici uniquement l’impact des influences sociales « négatives » qui nous communiquent leurs idoles et incitent nos cœurs à produire des idoles. Si l’on réagit contre moi avec rage, j’apprendrai probablement l’importance suprême d’obtenir ce que je veux, de même que quelques trucs et méthodes pour parvenir à mes fins. J’aurai aussi instinctivement tendance à générer des idoles compensatoires afin de me venger, de me défendre ou de fuir. Nous avons tendance à répondre au mal par le mal. Je pourrais également parler de l’impact des influences sociales « positives », à la fois dans l’œuvre de John Bunyan et dans la vie, qui communiquent et encouragent la foi et nous incitent à nous repentir de l’idolâtrie.

[6] Les sociologues, les anthropologues et les historiens de la psychiatrie ont décrit comment la plupart des symptômes et tous les diagnostics sont liés à la culture. C’est particulièrement vrai dans le cas des problèmes fonctionnels (par opposition aux problèmes strictement organiques) qui constituent la plus grande part de la misère humaine et des mauvais comportements. Cette observation, puisqu’elle relativise, indique que les étiquettes diagnostiques apposées ne sont ni « scientifiques », ni « objectives ». Ces étiquettes sont parfois utiles du point de vue heuristique si nous les reconnaissons pour ce qu’elles sont : un classement taxonomique rudimentaire d’observations. Mais les étiquettes sont des éléments au sein de schèmes de valeurs et d’interprétation. Parce que les diagnostics sont « chargés » sur les plans philosophique et théologique, un chrétien qui cherche à être fidèle au système de valeurs et d’interprétation biblique doit établir des catégories bibliques et aborder les catégories séculières avec un extrême scepticisme.