Quel est le fruit ou l’utilité de la cène ? (Jean Calvin)

Il est temps de montrer combien la cène de notre Seigneur nous est profitable, si toutefois nous en faisons bon usage. Nous réaliserons son utilité en soulignant tout d’abord notre pauvreté, à laquelle elle répond. Il est nécessaire que nous soyons dans de grands troubles et tourments de conscience alors que nous regardons qui nous sommes et examinons ce qui est en nous. Car aucun de nous ne peut trouver un seul grain de justice en soi ; au contraire, nous sommes tous pleins de péché et d’iniquité, à tel point qu’il n’y a pas besoin d’autre chose que de notre propre conscience pour nous accuser, ni d’autre juge pour nous condamner. 

Il s’ensuit que la colère de Dieu nous est destinée et que nul homme ne peut échapper à la mort éternelle. Si nous ne sommes pas endormis et hébétés, cette horrible pensée est un véritable enfer qui nous rattrape et nous tourmente perpétuellement. Car le jugement de Dieu ne peut nous venir en mémoire sans que nous ne voyions quelle condamnation en découle. Nous sommes donc déjà dans le gouffre de la mort, à moins que notre bon Dieu nous en retire. 

Le Père céleste nous donne la cène, comme un miroir dans lequel nous contemplons Jésus

De plus, quelle espérance de résurrection pouvons-nous avoir en considérant notre chair, qui n’est que pourriture et vermine ? Ainsi, tant selon l’âme que selon le corps, nous sommes plus que misérables si nous demeurons en nous-mêmes, et nous ne pouvons qu’avoir une grande tristesse et angoisse en sentant une telle misère. Mais le Père céleste, pour subvenir à cela, nous donne la cène, comme un miroir dans lequel nous contemplons notre Seigneur Jésus, crucifié pour abolir nos fautes et nos offenses, et ressuscité pour nous délivrer de la corruption et de la mort, nous rétablissant dans une immortalité céleste. 

La cène nous offre une consolation toute particulière

Voilà donc la consolation toute particulière que nous recevons de la cène, car elle nous dirige et nous mène à la croix de Jésus-Christ et à sa résurrection, pour nous certifier que, quelle que soit l’iniquité qui nous habite, le Seigneur ne se lasse pas de nous reconnaître et de nous accepter comme justes ; quel que soit le principe de mort qui demeure en nous, il ne se lasse pas de nous vivifier ; quel que soit le malheur que nous subissons, il ne se lasse pas de nous remplir de toute joie. 

Ainsi donc, pour résumer plus facilement ce qui en est, puisque, de nous-mêmes, nous manquons de tout bien et n’avons pas une seule goutte des choses qui doivent contribuer à notre salut, la cène témoigne du fait qu’étant participants de la mort et de la passion de Jésus-Christ, nous avons tout ce qui nous est utile et salutaire. Nous pouvons donc dire que le Seigneur nous y déploie tous les trésors de ses grâces spirituelles en nous faisant compagnons de tous les biens et richesses de notre Seigneur Jésus.

Qu’on se souvienne donc que la cène nous est donnée comme un miroir, dans lequel nous pouvons contempler Jésus-Christ crucifié pour nous délivrer de la damnation, et ressuscité pour nous acquérir justice et vie éternelle. Il est bien vrai que cette même grâce nous est offerte par l’Évangile ; toutefois, puisqu’en la cène nous en obtenons une plus ample certitude et une pleine jouissance, c’est à juste titre que nous reconnaissons un tel fruit comme en découlant.

Mais puisque les biens de Jésus-Christ ne nous appartiennent en rien, à moins qu’ils ne soient premièrement nôtres, il faut qu’ils nous soient premièrement donnés en la cène, afin que les choses que nous avons évoquées soient vraiment accomplies en nous. C’est pour cette raison que j’ai pour habitude de dire que la substance et la matière des sacrements, c’est le Seigneur Jésus, et que leur efficacité vient des grâces et des bénédictions que nous avons par son moyen.

Or, l’efficacité de la cène est de confirmer notre réconciliation avec Dieu par sa mort et sa passion, la purification de nos âmes par l’effusion de son sang, la justice que nous obtenons en son obéissance ; bref, l’espérance du salut que nous avons en tout ce qu’il a fait pour nous. Il faut donc que la substance soit conjointe avec le sacrement, car il n’y aurait autrement rien de ferme ni de certain. 

2 choses nous sont présentées par la cène

De cela, nous avons à conclure que deux choses nous sont présentées par la cène : à savoir Jésus-Christ comme source et matière de tout bien, puis le fruit et l’efficacité de sa mort et sa passion. C’est ce que signifient les paroles qui nous y sont dites. Car en nous commandant de manger son corps et de boire son sang, il ajoute que son corps a été livré pour nous et son sang répandu pour la rémission de nos péchés. Par cela, il signale que nous ne devons pas communier à son corps et son sang sans autre considération, mais afin de recevoir le fruit qui vient de sa mort et sa passion. D’autre part, il indique que nous ne pouvons parvenir à la jouissance d’un tel fruit qu’en participant à son corps et à son sang, dont il a été question. 

Comment doit-on comprendre ces paroles, où le pain est appelé corps de Jésus-Christ et le vin son sang ?

Nous pénétrons dès lors au cœur de cette question tant débattue dans le passé et de nos jours : comment doit-on comprendre ces paroles, où le pain est appelé corps de Jésus-Christ et le vin son sang ? Cette question trouvera une réponse sans grande difficulté si nous retenons bien le principe que toute l’utilité que nous devons chercher dans la cène est anéantie, à moins que Jésus-Christ nous y soit donné comme substance et fondement de tout. 

Cela résolu, nous confesserons sans douter que nier la vraie communion à Jésus-Christ par la cène revient à rendre ce saint sacrement frivole et inutile, ce qui est un blasphème exécrable et indigne d’être écouté. De plus, si la raison pour laquelle nous communions à Jésus-Christ est de nous permettre d’obtenir notre part et portion dans toutes les grâces qu’il nous a acquises par sa mort, il n’est pas seulement question que nous soyons participants de sa divinité ; il nous faut aussi participer à son humanité, dans laquelle il s’est montré pleinement obéissant à Dieu, son Père, pour payer nos dettes. 

Quand Dieu se donne à nous, c’est afin que nous le possédions entièrement

D’ailleurs, à proprement parler, l’un ne peut se faire sans l’autre, car quand il se donne à nous, c’est afin que nous le possédions entièrement. Tout comme il est dit que son esprit est notre vie, de même sa bouche nous déclare que sa chair est vraiment une nourriture et, son sang, vraiment un breuvage. Si ces paroles ne sont point dites pour rien, il convient que, pour que notre vie soit en Christ, nos âmes soient nourries de son corps et de son sang comme de leur propre nourriture. C’est cela qui nous est garanti dans la cène, quand il nous est dit de prendre et manger le pain, qui est son corps, ainsi que de boire à la coupe le vin, qui est son sang. Le corps et le sang sont nommés afin que nous apprenions à y chercher la substance de notre vie spirituelle.

Le pain et le vin sont des signes visibles qui représentent le corps et le sang

Mais maintenant, si l’on demande si le pain est le corps de Christ, et le vin son sang, nous répondrons que le pain et le vin sont des signes visibles qui représentent le corps et le sang, et que les titres de corps et de sang leur sont attribués parce qu’ils sont comme des instruments par lesquels le Seigneur Jésus nous les distribue. La raison de cette manière de parler est très convenable ; puisque notre communion au corps de Jésus-Christ nous est incompréhensible, non seulement par nos yeux mais aussi par nos sens naturels, elle nous est ainsi distinctement montrée. Nous avons d’ailleurs un exemple d’une chose semblable. 

Notre Seigneur, voulant faire apparaître son Esprit au baptême de Christ, le représenta sous la figure d’une colombe. Saint Jean-Baptiste, narrant cette histoire, dit qu’il a vu le Saint-Esprit descendre. Si nous réfléchissons un peu, nous voyons qu’il n’a vu que la colombe, puisque le Saint-Esprit en son essence est invisible. Toutefois, sachant que cette vision n’était pas une vaine figure mais un signe certain de la présence du Saint-Esprit, il n’hésite pas à dire qu’il a vu l’Esprit, qui s’est présenté à lui selon sa capacité à le percevoir. Ainsi en est-il de notre communion au corps et au sang du Seigneur Jésus.

C’est un mystère spirituel qui ne peut se voir à l’œil, ni se saisir par l’intelligence humaine. Il nous est donc figuré par des signes visibles, car notre petitesse le requiert, de telle façon toutefois qu’il ne s’agit pas d’une figure nue, mais conjointe avec sa vérité et sa substance. C’est donc à juste titre que le pain est nommé corps, puisqu’en plus de nous le représenter, il nous le présente. Ainsi, nous considérons que le nom du corps de Jésus-Christ est transféré au pain, car il en est le sacrement et la figure, mais nous ajouterons pareillement que les sacrements du Seigneur ne doivent et ne peuvent être séparés de leur vérité et substance. 

Nous devons recevoir réellement dans la cène le corps et le sang de Jésus-Christ, puisque le Seigneur nous y représente la communion à l’un et l’autre

Distinguer les deux afin de ne pas les confondre, cela est bon et raisonnable, voire nécessaire, mais il est impossible de les diviser pour concevoir l’un sans l’autre. De fait, quand nous voyons le signe visible, il nous faut regarder ce qu’il représente et qui nous le donne. Le pain nous est donné, pour nous figurer le corps de Jésus-Christ, avec le commandement de le manger ; et il nous est donné par Dieu, qui est la vérité certaine et immuable. Étant donné que Dieu ne peut tromper ni mentir, il s’ensuit qu’il accomplit tout ce qu’il signifie. Il faut donc que nous recevions réellement dans la cène le corps et le sang de Jésus-Christ, puisque le Seigneur nous y représente la communion à l’un et l’autre. 

À quoi servirait-il de dire que nous mangeons le pain et que nous buvons le vin pour signifier que sa chair est notre nourriture et son sang notre breuvage s’il ne nous donnait que le pain et le vin, abandonnant la vérité spirituelle ? Ne serait-ce pas mensonger d’instituer un tel mystère ? Nous devons donc confesser que, si la représentation que Dieu nous fait dans la cène est véritable, la substance intérieure du sacrement est conjointe à ses signes visibles ; et comme le pain est distribué dans notre main, de même le corps de Jésus-Christ nous est communié, afin que nous en soyons faits participants. 

Jésus-Christ nous est offert dans la cène, afin que nous le possédions, lui et toute la plénitude de grâces que nous pouvons désirer

Quand bien même nous n’aurions que cela, nous avons de quoi nous contenter, quand nous entendons que Jésus-Christ nous donne dans la cène la substance de son corps et de son sang, afin que nous le possédions pleinement et qu’ainsi nous ayons part à tous ses biens. En effet, puisque nous l’avons, toutes les richesses de Dieu, qui sont comprises en lui, nous sont présentées pour devenir nôtres. Ainsi, pour résumer brièvement l’utilité de la cène, nous pouvons dire que Jésus-Christ nous y est offert, afin que nous le possédions, lui et toute la plénitude de grâces que nous pouvons désirer. En cela, nous avons une bonne aide pour affermir nos consciences dans la foi que nous devons avoir en lui.

La cène nous incite à ne pas ignorer les grâces que Dieu nous a faites

Le second fruit qu’elle nous apporte est qu’elle nous exhorte et nous incite à mieux reconnaître les biens que nous avons reçus et recevons quotidiennement du Seigneur Jésus, afin que nous lui rendions la louange qui lui est due. Nous sommes effectivement si négligents de nous-mêmes qu’il serait extraordinaire pour nous de méditer la bonté de Dieu, à moins qu’il nous réveille dans notre paresse et nous pousse à accomplir notre devoir. Or, il n’y a pas d’aiguillon plus vif que celui qui nous fait, pour ainsi dire, voir à l’œil, toucher de notre main et sentir un bien si inestimable : avoir sa propre substance pour nourriture. C’est ce qu’il veut signifier en nous commandant d’annoncer sa mort jusqu’à ce qu’il vienne. 

La cène nous pousse à rendre grâce à Dieu

Si donc c’est une chose si nécessaire à notre salut, de ne pas ignorer les grâces que Dieu nous a faites mais de les rappeler diligemment à notre mémoire et de les magnifier auprès des autres, afin de nous édifier mutuellement. En cela, nous voyons une autre utilité particulière de la cène : elle nous soustrait à l’ingratitude et nous empêche d’oublier le bien que nous a fait le Seigneur Jésus en mourant pour nous ; elle nous pousse à lui rendre grâce et, comme par une confession publique, à protester notre union avec lui.

La cène nous exhorte à vivre avec sainteté, et surtout à conserver l’amour et le soin fraternel entre nous

La troisième utilité de la cène est de présenter une puissante exhortation à vivre avec sainteté, et surtout à conserver l’amour et le soin fraternel entre nous. Car puisque nous y sommes faits membres de Jésus-Christ, étant incorporés en lui, unis à lui comme à notre tête, ce n’est que justice que, non seulement nous soyons rendus conformes à sa pureté et son innocence, mais aussi que nous ayons ensemble un amour et un accord tels que les membres d’un même corps. Et pour bien comprendre cette utilité, il ne faut pas croire que notre Seigneur se contente de nous avertir, de nous inciter et d’enflammer nos cœurs par le seul signe extérieur. 

Le plus important demeure qu’il travaille en nous intérieurement par son Saint-Esprit, afin de rendre efficace son ordonnance, qu’il a destinée à être un instrument par lequel il veut faire son œuvre en nous. C’est pourquoi, puisque la vertu du Saint-Esprit est conjointe aux sacrements, quand on les reçoit dûment, nous avons à en espérer une aide et un soutien opportuns pour nous faire croître, grandir en sainteté de vie, et particulièrement en amour.


Cet article est tiré du livre : Petit traité sur la cène de Jean Calvin