Le secret d’Aslan (David Mathis)

On pouvait le voir dans leurs yeux, alors qu’ils étaient assis sur le lit, silencieux et immobiles. Ils étaient totalement concentrés, incertains de ce qui allait se passer ensuite, attentifs à chaque détail.

L’intelligence de C.S. Lewis, plus de cinquante ans après sa mort, était toujours à l’œuvre. Je l’ai observé cette semaine sur les visages captivés de deux jumeaux de quatre ans, prêts à avaler la moindre information que le narrateur pourrait révéler sur cet Aslan.

Aspirer à voir le Lion

Les enfants de quatre ans peuvent suivre plus que vous ne le pensez. En tout cas, plus que je ne le pensais. Après avoir observé la réaction de nos fils à un autre livre, pourtant beaucoup plus simple, nous nous sommes risqués à essayer Narnia. Je me suis dit que ce serait peut-être trop tôt à leur âge, mais j’avais sous-estimé le génie de Lewis, à la fois captivant et accessible.

Nous nous sommes donc procuré un exemplaire de Le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique – ne croyez pas ceux qui disent qu’il s’agit du « deuxième livre » des Chroniques ; Lewis l’a écrit en premier, et Joe Rigney défend bien l’idée de commencer par ce dernier (Narnian, 163-165).

Le brio du conteur

La mention du « Lion » dès le début du titre est un indicateur. Le chapitre 1 présente l’armoire magique ; le chapitre 2, la sorcière. Le chapitre 3 devrait donc compléter les introductions, mais on n’y trouve pas de lion. Ni dans les chapitres 4, 5, ou 6. Et donc la tension grandit.

Finalement, au chapitre 7, les garçons flairent une piste prometteuse, mais Lewis les taquine merveilleusement en décrivant un castor de manière à nous faire penser que nous avons peut-être maintenant croisé le lion. Lorsque les quatre enfants de l’histoire réalisent qu’ils sont perdus dans les bois, Susan remarque « quelque chose qui bouge parmi les arbres, là-bas à gauche ».

« Quoi que ce soit », dit Peter, « il essaie de nous éviter. C’est quelque chose qui ne veut pas être vu. »

« C’est… c’est une sorte d’animal », dit Susan. Puis vient la description minutieuse de Lewis :

Ils l’ont tous vu cette fois, un visage velu avec une moustache qui les regardait de derrière un arbre. . . . L’animal a mis sa patte contre sa bouche, tout comme les humains mettent leurs doigts sur leurs lèvres lorsqu’ils vous font signe de vous taire. Puis il a disparu à nouveau. Les enfants sont tous demeurés là, retenant leur souffle.

Les enfants de quatre ans de notre maison sont restés assis dans un silence stupéfait, se demandant si c’était finalement le lion. Finalement, Lewis nous fait savoir que ce n’est pas le lion – pas encore.

« C’est un castor », annonce Peter.  Mais la graine a été plantée, et elle pousse.

Au nom d’Aslan

Un autre sort suit immédiatement le premier. Dans cette première conversation avec le castor, nous obtenons la première mention du nom d’Aslan, bien que nous ne sachions pas encore qu’il s’agisse du lion. « On dit qu’Aslan est en marche – il a peut-être déjà débarqué » – et lorsque Castor dit cela :

Et là, une chose très curieuse se produit. Aucun des enfants ne savait plus que vous qui était Aslan, mais dès que Castor a prononcé ces mots, tout le monde s’est senti différent. Il vous est peut-être arrivé de rêver que quelqu’un dise quelque chose que vous ne comprenez pas, mais dans le rêve, vous avez l’impression que cela a une signification énorme – soit une signification terrifiante qui transforme tout le rêve en cauchemar, soit une signification trop belle pour être exprimée en mots, qui rend le rêve si beau que vous vous en souvenez toute votre vie et que vous souhaitez toujours pouvoir y retourner. C’était comme ça maintenant. Au nom d’Aslan, chacun des enfants sentit quelque chose bondir en lui.

C’est tout pour le chapitre 7. Lewis nous emmène au chapitre 8, où Castor leur en dit plus sur Aslan :

Il est le Roi. Il est le Seigneur de toute la forêt, mais il n’est pas souvent ici, vous comprenez. Jamais de mon temps ou du temps de mon père. Mais la nouvelle nous est parvenue qu’il est revenu. Il est à Narnia en ce moment même.

Après que Castor ait récité une vieille comptine (prophétique) sur Aslan, faisant monter la tension d’un cran, Lucy demande : « Est-ce un homme ? » Et finalement, ici, au chapitre 8, presque à mi-chemin de l’histoire, nous découvrons que cet Aslan est Le Lion laissé en suspens dans le titre :

« Aslan, un homme ! » dit sévèrement M. Castor. « Certainement pas. Je vous dis qu’il est le roi des bois et le fils du grand Empereur d’outre-mer. Ne sais-tu pas qui est le Roi des Bêtes ? Aslan est un lion – le Lion, le grand Lion. »

Puis, bien sûr, Susan et Lucy demandent si ce lion est inoffensif, ce à quoi Castor répond par cette phrase mémorable : « Qui a parlé d’ “inoffensif” ? Bien sûr qu’il n’est pas inoffensif. Mais il est bon. C’est le Roi, vous dis-je. »

Apercevoir son visage

À partir de là, Lewis nous laisse en suspens en changeant de scène pour revenir à Edmond et la sorcière au chapitre 9. Puis, au chapitre 10, les enfants rencontrent le père Noël, mais il n’est pas le point culminant de ce conte. Nous attendons toujours avec impatience Aslan, pas le père Noël.

Ensuite, au chapitre 11, lorsque le serviteur de la sorcière observe que son hiver a dégelé, que le printemps est arrivé et que « C’est l’œuvre d’Aslan », elle répond : « Si l’un de vous mentionne à nouveau ce nom, il sera tué sur-le-champ. »

Ce n’est qu’au chapitre 12, soit à près de 70 % du livre, que les enfants arrivent à l’endroit où se trouve la Table de pierre, qu’ils entendent le son de la musique à leur droite et que, « se tournant dans cette direction, ils virent ce qu’ils étaient venus voir ». On pouvait entendre une mouche voler dans la chambre de nos enfants.

Aslan se tenait au centre d’une foule de créatures qui s’étaient regroupées autour de lui en forme de demi-lune. . . .

Mais quant à Aslan lui-même, les Castors et les enfants ne savaient pas quoi faire ou dire quand ils l’ont vu. Les personnes qui ne connaissent pas Narnia pensent parfois qu’une chose ne peut pas être bonne et terrible à la fois. Si les enfants avaient jamais pensé ainsi, ils en étaient guéris désormais. Car lorsqu’ils essayaient de regarder le visage d’Aslan, ils n’apercevaient que sa crinière dorée et ses grands yeux royaux, solennels et bouleversants ; puis ils se rendaient compte qu’ils ne pouvaient pas le regarder et devenaient tout tremblants. . . .

Sa voix était profonde et riche et, d’une certaine manière, elle les a débarrassés de leur anxiété. Ils se sentaient maintenant heureux et tranquilles et il ne leur semblait pas gênant de rester là à ne rien dire.

Oui, comme Jésus

Ensuite, au chapitre 13, alors que nous venons à peine de rencontrer Aslan, il parle avec la sorcière, puis se sacrifie à la place du rebelle au chapitre 14.

Après avoir lu à nos garçons la mort d’Aslan, nous avons laissé le livre là pendant trois jours. Ils ont accepté le fait qu’Aslan était mort. Lorsqu’on leur a demandé de raconter l’histoire, ils ont dit à leur grand-père qu’Aslan était mort. (J’ai dû lui chuchoter que nous n’avions pas encore lu le chapitre suivant).

Samedi soir dernier, nous avons ouvert le chapitre 15 et lu ce qu’était la « magie profonde », et nous avons tourné notre regard avec Susan et Lucy pour voir : « Là, brillant dans le lever du soleil, plus grand qu’ils ne l’avaient vu auparavant, secouant sa crinière (car elle avait apparemment repoussé) se tenait Aslan lui-même. » Au début, tout semblait trop beau pour être vrai, puis trop beau pour ne pas être vrai.

« Aslan n’est pas mort ? » a demandé l’un de nos garçons, pour confirmer son enthousiasme. « Non », ai-je répondu avec un sourire, « il est vivant ! Il est ressuscité ! » La Bible pour enfants « La Bible te raconte Jésus » les avait bien préparés à cela.

« Comme Jésus ? »

Ainsi, plus de cinquante ans après sa mort, le génie de C.S. Lewis continue de captiver de nouveaux publics avec la gloire d’Aslan – car Lewis, dans tout son génie, canalise la gloire, il ne la crée pas.

Derrière le génie d’Aslan se cache le rayonnement de la gloire de Dieu, l’empreinte exacte de sa nature (Hébreux 1.3), la propre image de Dieu (Colossiens 1.15), le propre compagnon de Dieu (Jean 1.1). Aslan est trop bon pour ne pas être vrai – parce qu’il est la vérité. Le secret d’Aslan est la gloire de Christ.

Que ce soit dans la fiction ou la non-fiction, dans des essais ou des lettres, dans l’apologétique ou le conte, Lewis connaissait le secret, à savoir que la meilleure gloire à laquelle on puisse puiser est la beauté de Jésus.


Cet article est une traduction de l’article anglais « The Secret of Aslan » du ministère Desiring God par Timothée Davi.