Le procès de Jésus — le volet civil (Sinclair Ferguson)

Note de l’éditeur : Ceci est le troisième article d’une série pascale. Pour lire le deuxième article, c’est par ici.  

Le roi des Juifs ?

Cette deuxième question du procès de Jésus sort des lèvres du gouverneur provincial romain. Elle est justifiée, étant donné la manière dont Jésus lui est présenté. « Où est la preuve de cette accusation de sédition ? » Il demande donc à Jésus :

« Es-tu le roi des Juifs ? » (Luc 23:3a)

Jésus lui donne une réponse similaire à celle qu’il a déjà prononcée devant le sanhédrin :

« Tu le dis » (v.3b).

Pilate a beau être un Romain cruel et intolérant, il n’est cependant pas naïf. La nomination en poste à l’étranger au service de l’Empire romain suppose assurément une certaine formation. Pilate sait sans doute que les Écritures juives promettent la venue d’un Roi messianique. D’ailleurs, le premier rouleau de leurs écrits sacrés annonce l’apparition inquiétante d’un Conquérant futur. Pilate sait fort bien que leur Dieu — le Nom, ainsi qu’ils l’appelaient — a promis de faire monter un Roi de son choix sur le trône de David. Le gouverneur méprise probablement ces prophéties, mais il ne pouvait pas les ignorer. D’ailleurs, l’une de ses tâches fondamentales de gouverneur consiste à s’intéresser de près à ces espérances messianiques — et à les réprimer.

Les autorités juives aussi savent ce qu’elles font en amenant à Pilate ce personnage humilié. Le gouverneur ne prêtera aucune attention à l’accusation de blasphème ; en revanche, il sera très sensible à celle de trahison. C’est sur elle que les chefs juifs font peser tout leur poids. Ils savent que Pilate ne gère pas très bien ce genre de situation, et ils sont sûrs qu’en cette occasion tout au moins, ils pourront en tirer profit.

Une menace pour la Pax Romana ?

Leur accusation consiste donc maintenant à présenter Jésus comme une menace pour la Pax Romana. Toute prétention à la royauté s’accompagnait d’un risque de troubles pour Rome. Et si Rome était confrontée à des difficultés, Ponce Pilate le serait également. Il fallait donc éviter cela à tout prix. Il connaissait trop les politiques messianiques et leurs dangers. Il était bien informé sur la guérilla. Il était toujours à l’affût d’informations sur les différentes organisations souterraines de résistance.

Mais ce jour-là se tient devant lui Jésus de Nazareth, couvert d’opprobre, battu, avili, le jouet des chefs religieux, timide et privé de sommeil.

Pilate ne se doute pas que les quelques heures suivantes vont faire de lui l’un des personnages les plus célèbres de l’Histoire, le seul homme politique romain dont le nom se trouve chaque semaine sur les lèvres de millions de gens qui récitent le Symbole des apôtres dans des centaines de langues différentes : « Je crois… en Jésus-Christ… qui a souffert sous Ponce Pilate… »

Voilà donc l’Homme que les sacrificateurs et le sanhédrin déclarent être extrêmement subversif. Ils l’ont accusé de blasphème — le plus odieux de tous les péchés pour eux. Ils y ajoutent maintenant l’accusation de trahison, de vouloir renverser Rome — le plus grave des crimes civils.

Que fera Pilate ?

Les accusations : vraies ou fausses ?

Les quatre évangiles montrent clairement que Pilate sait que ces accusations sont fausses. Il essaie — sans succès — de se tirer de ce bourbier lorsqu’il apprend que Jésus est Galiléen, de la juridiction d’Hérode. Il sait que celui-ci se trouve en ville pour la Pâque, et il lui envoie Jésus. Hérode et ses soldats se contentent toutefois de maltraiter Jésus avant de le renvoyer à Pilate « revêtu d’un habit éclatant » (Luc 23:11). Est-ce un signal à l’adresse du gouverneur qu’Hérode se désintéresse de Jésus et que Pilate peut donc faire de lui ce qui lui plaît ? Hérode fait-il comprendre au Romain qu’il est d’accord avec lui quoique celui-ci décidât ?

Le gouverneur continue de se sentir mal à l’aise. L’homme devant lui peut-il vraiment être coupable de trahison ? Peut-il vraiment être un agitateur contre Rome ? Malgré l’humiliation manifeste qu’il a subie, tout en lui respire la dignité, la grâce, le calme, la noblesse d’âme.

Au lieu d’accuser Jésus, Pilate se trouve entraîné dans une discussion avec lui. Quelque chose ne colle pas dans l’accusation, comme sa femme le lui dira un peu plus tard (« Qu’il n’y ait rien entre toi et ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui », Matthieu 27:19). Ce prisonnier ne respire absolument pas l’hostilité juive arrogante ni le fanatisme. Trahison, traîtrise contre l’empereur ? « Nous n’avons d’autre roi que César ! », crie la foule à l’adresse de Pilate. Mais une grâce royale émane de cet accusé. Il parle comme s’il n’est pas assujetti à l’autorité et au pouvoir de Rome, ni même en fait à un quelconque pouvoir terrestre.

Innocent

Le malheureux Pilate se voit donc contraint de poursuivre ses investigations à propos de l’accusation capitale. Bientôt (et de façon théâtrale), il se lavera publiquement les mains pour décliner toute responsabilité quant à Jésus-Christ. Du moins le pense-t-il, car il ne sait pas que la seule chose dont on se souviendra de lui dans l’Histoire sera ses mains tachées de sang. L’accusation de la plus haute gravité aboutit ainsi inexorablement à la peine capitale.

Et cela se produisit en dépit de deux faits importants.

D’abord, Jésus explique patiemment à Pilate que son règne n’est pas d’ordre politique terrestre (Jean 18:33-38).

Mais le récit de Luc contient une information encore plus significative. L’auteur la tisse dans une série d’affirmations sur l’innocence de Jésus. Chaque fois qu’une nouvelle accusation est portée contre Jésus, celui-ci en est sans réserve déclaré innocent.

Cette litanie d’acquittements est tellement impressionnante qu’il vaut la peine de marquer une pause pour les rappeler en détail :

  • Pilate : « Je ne trouve rien de coupable en cet homme » (Luc 23:4).
  • Pilate : « Je l’ai interrogé devant vous, et je ne l’ai trouvé coupable d’aucune des choses dont vous l’accusez » (Luc 23:14).
  • Pilate : « Cet homme n’a rien fait qui soit digne de mort » (Luc 23:15).
  • Pilate : « Je n’ai rien trouvé en lui qui mérite la mort » (Luc 23:22).
  • L’un des criminels crucifiés avec Jésus : « Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes ; mais celui-ci n’a rien fait de mal » (Luc 23:41).
  • Le centenier romain chargé de veiller à l’exécution : « Certainement, cet homme était juste » (Luc 23:47).

Jésus n’est pas faussement jugé coupable sur la lecture de fausses preuves. Il est exécuté, alors que le verdict prononcé sur lui est : « Innocent ! »

Une tension palpable

Même sous l’angle du déroulement humain de la situation, on perçoit une tension élevée à ce point, un choc entre deux mondes. Alors que le récit converge inexorablement vers la crucifixion de Jésus, condamné pour blasphème et trahison, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour proclamer son innocence et son intégrité jusqu’au moment où enfin, un personnage romain isolé apparaît sur la scène pour résumer tout ce qui a été dit : « Il est innocent ! C’est un homme juste. »

Pourquoi ce fait figure-t-il en filigrane sur les pages qui racontent l’histoire de la passion de Jésus ?

Pourquoi tellement d’attention est accordée au fait que Jésus est accusé des crimes particuliers de blasphème et de trahison ?

Et pourquoi, alors que les accusations sont manifestement fausses et n’ont aucune valeur en justice, Jésus n’est-il pas relâché ?

Pourquoi est-il exécuté pour des crimes qu’il n’a jamais commis ?

La suite demain…


Cet article est tiré du livre : Sola Gratia de Sinclair Ferguson