Le Dieu de la Bible et le dieu de la philosophie

Photo by Pixabay on Pexels.com

Quel est le lien entre ce concept philosophique et le Dieu de la Bible ? Et, comment pouvons-nous passer d’un être éternel et existant par lui-même à un Dieu personnel ?

Le père de l’Église primitive Tertullien était célèbre pour sa devise : « Je crois parce que c’est absurde. » Par ces propos, Tertullien cherchait à illustrer la différence radicale entre le Dieu de la Bible et le dieu des philosophes grecs. Quand il a demandé : « Qu’y a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem ? », il posait la question de façon rhétorique, ce qui signifie qu’il n’y a rien de commun entre le Dieu personnel des Israélites et le concept ou le principe vague et abstrait qu’en fait la philosophie grecque.

L’argument de Tertullien a refait surface au xixe siècle sous la forme de la théologie libérale. Des personnalités telles que l’historien de l’Église Adolf von Harnack et le théologien Albrecht Ritschl ont déclaré que, très tôt dans son histoire, l’Église a été corrompue par l’intrusion de la philosophie grecque. Dès le concile de Nicée au ive siècle, au cours duquel on a défini la Trinité en affirmant que Dieu est un en essence, mais trois en personne, les catégories et les expressions utilisées par l’Église étaient chargées de concepts philosophiques grecs. Les libéraux du xixe siècle ont soutenu que l’Église devait se libérer de l’emprise que la philosophie grecque a eue sur les réflexions des théologiens à travers les âges.

Ce point de vue du libéralisme a fait d’énormes incursions dans l’Église évangélique des xxe et xxie siècles. Par conséquent, de nombreux membres de l’Église ont commencé à rejeter la théologie systématique, qui cherche à comprendre toutes les Écritures de manière rationnelle et cohérente. Il est reproché aux systématiciens d’imposer un système philosophique à la Bible et d’essayer de tout faire entrer dans ce système préconçu, emprunté à la philosophie grecque.

Toutefois, la mission de la théologie systématique n’a jamais été d’imposer un système étranger aux Écritures et de forcer ensuite les Écritures à s’y adapter. Au contraire, les systématiciens examinent l’ensemble des Écritures pour tenter de les interpréter de façon cohérente en trouvant le système de pensée qui est dans la Bible, et non un système imposé par l’homme. Cela présuppose que Dieu parle de manière cohérente et qu’il nous a donné une intelligence pour comprendre sa Parole de manière cohérente et rationnelle. Pourtant, ce concept anti-systémique est aujourd’hui lié dans de nombreux cas à l’antipathie que les gens éprouvent pour la philosophie grecque.

Face à cette antipathie, nous devons nous rappeler que Dieu l’Esprit Saint a choisi le grec comme langue de rédaction du Nouveau Testament. Ainsi, la langue des Grecs nous sera toujours utile pour comprendre l’Évangile. Cela ne signifie pas que nous devons interpréter le grec du Nouveau Testament strictement à la lumière de la philosophie grecque. Même si la langue de rédaction est le grec, les concepts proviennent du monde hébreu ; ils ont simplement été transmis par l’intermédiaire de la langue grecque.

Quelle est alors la différence entre l’idée que se fait Aristote de Dieu et celle du christianisme ? Aristote a défini Dieu comme étant « la pensée de la pensée », le « premier moteur immobile » et la « cause première de toutes choses ». Par contre, le dieu d’Aristote n’a rien créé par volonté, mais plutôt par nécessité. Il est resté complètement impersonnel, distant et éloigné du monde qu’il a généré à partir de son être.

Selon le christianisme, le Dieu de la Bible est présenté dès le premier verset comme celui qui est passé à l’action pour créer tout ce qui existe et qui a agi de manière raisonnée et délibérée pour réaliser de grandes choses. De plus, il s’engage à prendre soin de ce qu’il a façonné. Il s’agit de la vision biblique de la création et de la rédemption : Dieu est intimement concerné par les événements historiques et par la gestion de l’univers qu’il a créé. Il y a manifestement de fortes différences entre la façon dont Aristote décrit Dieu et la façon dont les Écritures le décrivent.

Dans la philosophie grecque, le concept du logos ou « parole » est utilisé pour décrire une idée abstraite nécessaire pour apporter ordre et harmonie au monde. Mais dans le christianisme biblique, le logos est le Verbe de Dieu incarné, une personne : le Seigneur Jésus-Christ. La rupture est radicale par rapport à la signification du logos dans le stoïcisme ou dans la pensée du philosophe Héraclite.

Parfois, les chrétiens s’opposent à l’apologétique sous prétexte que plaider en faveur d’un être éternel et autoexistant nous amène seulement à une cause première. Tout ce que nous avons établi jusqu’à présent est l’existence du dieu d’Aristote ou du dieu des philosophes, et non du Dieu de la Bible. Les gens qui soulèvent ces objections prétendent que l’approche est fausse parce que nous n’obtenons qu’une représentation incomplète et partielle du vrai Dieu, et ils rejettent alors l’ensemble de l’approche apologétique discutée dans ce livre.

À ce stade, nous devons remettre en question une hypothèse de départ. La question clé est la suivante : devons-nous avoir une connaissance totale de Dieu si nous voulons le connaître réellement ? L’un des premiers principes de la théologie systématique au sujet de Dieu est la doctrine de son incompréhensibilité. Cela signifie qu’aucun humain ne peut et ne pourra jamais avoir une connaissance et une compréhension exhaustive et complète de Dieu. Il est infini dans son excellence, contrairement à nous qui, même au paradis, n’aurons pas une perspective infinie qui nous permettra de le comprendre. Nous sommes des créatures limitées, et en vertu de notre condition de créature, notre compréhension de Dieu est limitée.

En effet, s’il fallait obtenir une représentation complète de Dieu pour le comprendre réellement, cela voudrait dire que nous ne pourrions jamais le connaître réellement parce que nous n’avons certainement pas une connaissance totale de lui. Par conséquent, le fait que notre connaissance de Dieu est partielle ne signifie pas qu’elle est erronée.

Même si notre processus de raisonnement ne nous amène pour l’instant qu’à un être éternel existant par lui-même, ces attributs font assurément partie de ce que la Bible nous révèle sur le caractère de Dieu. En effet, la Bible enseigne sur la nature de Dieu qu’il est éternel, autoexistant, et le Créateur de toutes choses. À cela, Aristote approuverait d’un « Oui » et d’un « Amen. » Aristote a-t-il tort ? Non, et le fait qu’un philosophe païen reconnaît qu’il doit y avoir un être éternel autoexistant ne contredit pas la véracité de la croyance chrétienne. Au contraire, cela la renforce.

Nous affirmons simplement être d’accord avec Aristote dans le sens qu’il doit y avoir une cause première autoexistante, éternelle et qui est un être pur. Ces caractéristiques ne représentent qu’une partie de notre connaissance de Dieu, mais une partie cruciale. En fait, c’est précisément cet aspect de la conception chrétienne de Dieu qui constitue la cible principale des systèmes de pensée athées.

Ces derniers s’attaquent au christianisme en remettant en cause la création ainsi que la notion d’un être transcendant, existant par lui-même et éternel. Ainsi, il apparaît essentiel d’établir que ce n’est pas seulement la foi qui démontre la nécessité logique d’un être éternel autoexistant, mais aussi la raison. Le champ de bataille de la doctrine de Dieu est alors un champ où le chrétien peut sortir victorieux plutôt que de renoncer à un grand nombre de vérités.

Encore une fois, la question se pose : comment peut-on passer d’un être éternel et autoexistant à un Dieu personnel ? Cette question nécessite un approfondissement et une complexification de nos recherches. L’un des plus célèbres arguments en faveur de l’existence de Dieu est l’argument téléologique qui vient du mot grec telos, qui signifie « fin, but ». Cet argument est aussi appelé argument du dessein divin ou « argument du design » en anglais.

Emmanuel Kant et David Hume ont été deux des plus grands sceptiques de l’histoire en ce qui concerne les arguments traditionnels en faveur de Dieu. Pourtant, ces deux philosophes ont estimé que l’argument téléologique représente le plus fort argument de l’histoire en faveur de l’existence de Dieu. Kant a dit qu’il ne pouvait pas ignorer deux choses : les étoiles dans le ciel et la voix de la conscience morale en lui. Il n’était pas seulement un philosophe, mais aussi un scientifique, et il a été submergé par les preuves manifestes de structure (ou « design ») dans la nature. Il est très difficile d’imaginer que l’architecture de la nature s’est faite sans architecte. Une structure peut-elle être le fruit du hasard ? Telle était la question.

La parabole du jardinier invisible, popularisée par Antony Flew, raconte l’histoire de deux explorateurs qui parcourent un territoire inexploré d’une épaisse forêt tropicale. Lorsqu’ils atteignent le milieu de la jungle, ils découvrent un jardin magnifiquement entretenu avec des rangées de fleurs parfaitement organisées et alignées, et sans la moindre mauvaise herbe parmi les plantes. Ils sont persuadés qu’un jardinier entretient cette merveille, et se mettent donc à sa recherche. Comme ils n’arrivent pas à le trouver, ils commencent à se demander s’il n’est pas invisible et immatériel. Finalement, à la fin de la parabole, Flew dit que Dieu est « mort de mille qualifications » quand nous commençons à le définir par « invisible » et « immatériel ». Il conclut en demandant : « Quelle est donc la différence entre ce Dieu et l’absence de Dieu ? » La réponse est évidente : le jardin. Flew n’avait toujours pas pris en compte les signes évidents d’aménagement dans le jardin.

Les philosophes des Lumières n’ont pas pu ignorer les indications de « conception » dans la création, c’est pourquoi ils sont passés du théisme chrétien au déisme (croyance en un Dieu qui a créé le monde, mais qui n’y est plus actif). Selon eux, le monde fonctionne comme une montre conçue à la perfection avec ses engrenages et son mécanisme interne. Pourtant, personne n’imaginerait qu’une montre puisse ne pas avoir de concepteur ou de fabricant.

Aristote a affirmé que la principale caractéristique de la personnalité est l’intention, ou ce que l’on a appelé plus tard, dans la philosophie personnaliste du xixe siècle, l’« intentionnalité ». Pour que quelque chose agisse avec une intention, il doit posséder un esprit et la faculté de choisir ce que son esprit projette. Selon Aristote, la personnalité nécessite une intention, l’intention suppose la personnalité, et l’essence de l’intention se trouve dans l’esprit et la volonté.

Les forces impersonnelles n’ont ni esprit ni volonté, elles ne peuvent rien concevoir. Les gens essaient d’abaisser Dieu au niveau de force impersonnelle, sans intelligence et sans intention dans l’unique but d’échapper à l’idée du jugement de celui qui est intelligent et qui opère par dessein. L’homme tente de trouver une échappatoire à l’accusation morale. Cependant, nous ne pouvons pas avoir de but sans raison, et nous ne pouvons pas avoir d’intelligence inintelligemment. L’impersonnalité ne peut pas produire la personnalité, car il s’agirait d’une intention involontaire, et nous ne pouvons pas avoir une intention non intentionnelle. Tout comme le concept d’autocréation, l’intentionnalité non intentionnelle est une absurdité.

S’il y a présence de structure dans l’univers, alors cette chose autoexistante et éternelle, qui est responsable de la création de l’univers tel que nous le connaissons, doit forcément consister en un « être » intelligent, éternel et autoexistant, et non en une « chose ». Si cet être est intelligent, alors il doit être personnel. Et s’il est personnel, alors nous nous éloignons de l’abstrait pour revenir aux Écritures saintes.


Cet article est extrait du livre : « Dieu existe-t-il ? » de R.C. Sproul