Le déni devant l’annonce d’une tragédie (John S. Feinberg)

À la suite du premier diagnostic de la maladie de ma femme, j’ai été en proie à une multitude d’émotions et de réactions. Encore aujourd’hui, je lutte encore parfois avec certains de ces sentiments. Je crois que les autres personnes qui vivent une tragédie réagissent de façon semblable. Si nous voulons apporter de l’aide à ceux qui souffrent, nous devons comprendre ce qu’ils ressentent.

Le déni 

Quand Pat, ma femme, m’a annoncé le diagnostic pour la première fois, je lui ai demandé sur quoi le médecin avait basé son évaluation. Pat a répondu qu’il l’avait regardée bouger et lui avait posé des questions sur ses antécédents familiaux. Je lui ai demandé s’il avait fait des tests ou s’il pensait qu’il fallait en faire. Aucun test n’avait été fait, et aucun n’était prévu. J’ai pensé qu’il était complètement absurde de formuler un diagnostic aussi horrible sur la base de preuves aussi ténues. 

Il est vrai qu’à l’époque, je ne savais que ce que Pat m’avait dit à propos de la maladie de Huntington. La plupart des maladies auxquelles je pouvais penser devaient être confirmées par un test ou une série de tests ; je pensais donc qu’il devait en être de même pour cette maladie. Étant donné que la maladie de Huntington est causée par un gène défectueux, je ne pouvais pas croire qu’on puisse être certain que Pat en était atteinte sans avoir pratiqué de test génétique.

À ce jour, elle n’a toujours pas passé un tel test. Donc naturellement, au début, j’ai pensé qu’il était impossible de croire à ce diagnostic vu qu’il était fondé sur si peu de preuves. J’ai pensé que c’était une bonne chose que je sois un philosophe, parce que de ce fait, je pouvais repérer les raisonnements erronés, et celui-ci représentait, selon moi, un exemple flagrant de déduction non justifiée par les preuves.

D’un autre côté, ni la logique, ni la philosophie, ni aucune autre sorte de raisonnement ne pouvait prouver que le médecin avait tort. J’avais donc deux réactions simultanées : croire que le médecin ne savait pas de quoi il parlait tout en craignant qu’il ait probablement raison de toute façon. Dans les jours et semaines qui ont suivi ce premier diagnostic, j’ai fait tout ce qui était possible pour réfuter cette « théorie » sur ce qui arrivait à Pat.

Chaque fois que quelqu’un mentionnait une maladie, je m’enquérais des symptômes pour voir s’ils ressemblaient, ne serait-ce que vaguement, à ce que Pat vivait, je m’imaginais que cette autre maladie était en fait son vrai problème. Or, lorsque je demandais à un médecin si elle pouvait être atteinte de telle ou telle autre maladie, il parvenait toujours à expliquer pourquoi cela ne pouvait pas être le cas. Tandis que nous cherchions l’avis d’autres docteurs, et qu’ils réfutaient théorie après théorie, je suis devenu de plus en plus découragé.

Déchiré entre la résistance et le désespoir

Alors que nous nous rapprochions d’une confirmation définitive du premier diagnostic, je gardais toujours l’espoir qu’il n’en soit pas ainsi, mais je commençais à me faire à l’idée de ce que cela signifierait si les médecins avaient raison. Je peux affirmer catégoriquement qu’un tel état émotionnel n’est pas drôle du tout. Vous êtes tirés dans une direction par le déni tenace qui vous fait dire que ce n’est pas réellement ce qui est en train d’arriver, et en même temps, vous êtes entraînés dans une autre direction par la prise de conscience de toutes les terribles implications dans le cas où les médecins auraient raison. Déchiré entre la résistance et le désespoir, j’avais l’impression de sortir d’un match de boxe avec le champion du monde de la catégorie poids lourd qui, round après round, aurait sans relâche roué de coups ma tête et mon corps.

Le déni est commun devant l’annonce d’une tragédie

Le déni n’est pas inhabituel devant l’annonce d’une tragédie. Dans mon cas, il a duré plusieurs mois, mais il a connu une fin écrasante lorsque nous avons rencontré un médecin qui faisait des recherches sur la maladie de Huntington. J’avais récupéré le dossier médical de la mère de Pat à l’hôpital de New York où elle avait passé les dix dernières années de sa vie. Je l’ai amené à ce spécialiste. Il l’a consulté, a observé les symptômes de Pat et a confirmé qu’elle souffrait bien de la chorée de Huntington.

Quand j’ai émis l’une de mes théories alternatives, il a ouvert le dossier médical à une certaine page, a désigné plusieurs annotations et a affirmé catégoriquement : « C’est la chorée de Huntington. » Il a aussi prescrit un scanneur cérébral pour confirmer le diagnostic. Le scanneur révélait peu de détérioration, mais le fait qu’il y en avait était une preuve suffisante. À ce point, toutefois, j’avais déjà abandonné le combat : il n’y avait tout simplement aucune raison valable de nier ce qui nous était devenu cruellement clair.


Cet article est tiré du livre : Quand il n’existe pas de réponses simples de John S. Feinberg