La raison pour laquelle nous ne ressentons pas le poids de nos péchés (Dane Ortlund)

Ce que nos péchés évoquent

Il est probablement impossible de concevoir l’horreur de l’enfer, de même que la férocité de la justice rétributrice et de la juste colère qui déferlera au dernier jour sur ceux qui ne seront pas en Christ. Il se peut qu’un mot comme férocité nous donne ici à penser que la colère de Dieu sera incontrôlable ou disproportionnée. Il n’y a toutefois rien en Dieu qui soit incontrôlable ou disproportionné.

            Si nous avons l’impression qu’il est facile d’exagérer la gravité de la colère divine, c’est parce que nous ne ressentons pas le véritable poids du péché. En y réfléchissant, voici ce que Martyn Lloyd‑Jones a dit :

Vous ne vous infligerez jamais à vous-même le sentiment d’être pécheur, car il y a en vous un mécanisme que le péché déclenche et qui vous défendra toujours contre toute accusation. Nous sommes tous en très bons termes avec nous‑mêmes, et nous sommes toujours capables de bien plaider notre cause. Même si nous essayons de nous persuader nous-mêmes que nous sommes pécheurs, nous ne le pourrons jamais. Il n’y a qu’un seul moyen de savoir que nous sommes pécheurs, c’est d’avoir une infime lueur de la perception de Dieu[1].

            Autrement dit, nous ne ressentons pas le poids de notre péché en raison même de notre péché. Si nous discernions avec une clarté plus vive à quel point notre péché est insidieux et généralisé, nous saurions que la méchanceté humaine exige un jugement aux proportions divines. Même une personne qui possédait un sens aussi profond du cœur aimant de Christ que Thomas Goodwin n’a par ailleurs aucun mal à affirmer que, si « sa colère contre le péché était le feu même », alors « tous les soufflets terrestres […] n’auraient pas pu attiser suffisamment la fournaise[2] ».

            Et de même que nous pouvons difficilement imaginer la férocité divine qui attend ceux qui ne sont pas en Christ, il est tout aussi vrai que nous pouvons difficilement imaginer la tendresse divine qui repose déjà sur ceux qui sont en Christ. Il se peut que nous nous sentions légèrement timides, mal à l’aise ou même coupables d’insister autant sur la tendresse de Dieu que sur sa colère. Il reste que la Bible ne s’attribue pas un tel malaise. Considérons Romains 5.20 : « [Mais] là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » La grâce surabondante de Christ éclipse par conséquent la culpabilité et la honte de ceux qui sont en lui. Même si nous avons l’impression que nos pensées, nos paroles et nos actions atténuent la grâce de Dieu envers nous, ces péchés et ces échecs l’amènent en fait à abonder encore davantage.


La culpabilité et la honte de ceux qui sont en Christ sont toujours dépassées par sa grâce abondante.


Un profond mystère

            Examinons plus en profondeur ce principe inviolable de l’économie de l’Évangile. Jusqu’ici, nous avons parlé de la grâce divine et de la façon dont elle surabonde afin de toujours satisfaire pleinement notre besoin d’elle. Or, il n’existe pas à proprement parler de « chose » comme la grâce. Selon la théologie catholique romaine, la grâce constitue un genre de trésor auquel on peut accéder par divers moyens soigneusement contrôlés. Cependant, la grâce de Dieu vient à nous dans la seule mesure où Christ vient à nous. Selon l’Évangile, Dieu ne nous donne pas une chose, mais une Personne.

            Approfondissons maintenant cette notion. En nous donnant Christ, qu’est‑ce que Dieu nous donne en réalité ? Plus précisément, si nous pouvons parler de la grâce qui correspond toujours à nos péchés, mais qui vient à nous en Christ lui‑même, nous abordons une dimension cruciale de l’identité de Christ – une dimension biblique sur laquelle les puritains aimaient beaucoup réfléchir : lorsque nous péchons, le cœur même de Christ le porte vers nous.

            Il se peut que cette réalité nous fasse grimacer. Si Christ est d’une sainteté parfaite, ne doit‑il pas forcément se distancier du péché ?

            Nous nous trouvons ici devant l’un des mystères les plus profonds entourant l’identité de Dieu en Christ. Non seulement la sainteté et l’impiété sont-elles mutuellement exclusives, mais Christ, étant parfaitement saint, connaît et ressent l’horreur et le poids du péché plus profondément que quiconque parmi nous, pécheurs, le pourrait. Plus un homme a le cœur pur, plus il est horrifié à l’idée qu’on vole ou maltraite son prochain. À l’inverse, plus un homme a le cœur corrompu, moins le mal qui l’entoure l’affecte.

            Poussons l’analogie un peu plus loin. Plus un cœur est pur, plus le mal l’horrifie, de même, plus un cœur est pur, plus il est naturellement poussé à aider, à soulager, à protéger et à consoler, alors que le cœur corrompu reste de marbre, indifférent. Ainsi en va‑t‑il de Christ. Sa sainteté le pousse à trouver le mal révoltant, plus que quiconque parmi nous le pourrait. C’est toutefois cette même sainteté qui le pousse à aider, à soulager, à protéger et à consoler. Ici encore, nous devons nous rappeler l’immense distinction que Christ établit entre ceux qui sont en lui et ceux qui ne le sont pas. Les péchés évoquent une colère sainte envers ceux qui ne lui appartiennent pas. Comment un Dieu véritablement moral pourrait‑il réagir autrement ? En revanche, les péchés évoquent une soif, une tendresse et un amour saints envers ceux qui lui appartiennent. Dans le passage clé portant sur la sainteté divine (És 6.1‑8), cette dernière (6.3) donne lieu naturellement et immédiatement au pardon et à la miséricorde (6.7).

            Goodwin explique cette réalité en terminant son livre intitulé The Heart of Christ par une série d’applications finales. En réfléchissant « aux consolations et aux encouragements » qui sont nôtres à la lumière du Christ qui souffre de nos péchés et de nos afflictions, il écrit ceci :

Il y a de quoi vous consoler de telles faiblesses du fait que vos péchés mêmes le poussent à la pitié plus qu’à la colère. […] Car il souffre avec vous de vos faiblesses, et par « faiblesses » nous voulons dire « péchés », ainsi que de vos malheurs. […] Christ y a part avec vous, et au lieu de vous en vouloir, il s’attaque, dans sa colère, à votre péché afin de l’anéantir. Oui, sa pitié envers vous s’en trouve accrue, comme le cœur d’un père souffre pour un enfant atteint d’une maladie odieuse, ou comme ce que l’on ressentirait envers un membre de son corps atteint de la lèpre. On ne hait pas ce membre, car ce dernier fait partie de sa chair et le pousse d’autant plus à avoir pitié de son membre le plus affecté. Qu’est-ce qui ne servira pas à notre bien si nos péchés, tant contre Christ que contre nous-mêmes, le portent à avoir pitié de nous[3] ?

Plus la misère est grande, plus la pitié l’est aussi lorsqu’il s’agit d’un être bien-aimé. Et de toutes les misères, le péché est la plus grande. Or, si vous voyez les choses ainsi, Christ les verra aussi de cette manière. Par ailleurs, comme il aime votre personne et ne hait que le péché, sa haine tombera tout entière uniquement sur le péché, afin de vous en libérer par son anéantissement, mais ses affections le porteront encore plus vers vous ; autant si vous croulez sous le péché que sous toute autre affliction. Ne craignez donc pas[4].

Que dit Goodwin ici ?

            Si vous faites partie du corps même de Christ, vos péchés suscitent sa plus grande miséricorde, sa compassion et sa pitié. Christ y a part avec vous, c’est‑à‑dire qu’il est de votre côté. Il se joint à vous contre votre péché, et non contre vous à cause de votre péché. Il hait le péché, mais il vous aime. Nous comprenons cette vérité, nous dit Goodwin, si nous considérons la haine qu’un père éprouve pour une terrible maladie dont son enfant est atteint – ce père hait la maladie tout en aimant son enfant. En effet, la présence de la maladie amène son cœur à se porter d’autant plus vers son enfant.

            Il ne faut toutefois pas faire fi de la dimension disciplinaire de l’amour de Christ envers son peuple. La Bible enseigne clairement que nos péchés amènent Christ à nous châtier (par ex. : Hé 12.1‑11). Il ne nous aimerait pas vraiment si ce n’était pas le cas. Il n’en reste pas moins que ce châtiment reflète son grand cœur rempli d’amour pour nous. Lorsqu’un membre de notre corps est blessé, sa guérison exige la douleur et les efforts de la physiothérapie. Cette dernière n’est cependant pas punitive ; elle vise plutôt à susciter la guérison. C’est par souci pour ce membre que la physiothérapie est prescrite.

Notes :

[1] Martyn Lloyd‑Jones, Seeking the Face of God: Nine Reflections on the Psalms, Wheaton, Ill., Crossway, 2005, p. 34.

[2] Thomas Goodwin, « Of Gospel Holiness in the Heart and Life », dans The Works of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids, Mich., Reformation Heritage, 2006, vol. 7, p. 194.

[3] C’est‑à‑dire que Dieu fait tout concourir à notre bien.

[4] Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011, p. 155‑156.


Cet article est adapté du livre : « Doux et humble de coeur » de Dane Ortlund