La raison d’être de la liturgie

Lorsque les chrétiens se réunissent pour adorer Dieu le jour du Seigneur, ils prennent part à l’activité la plus importante et la plus merveilleuse possible. L’adoration ne constitue toutefois pas uniquement l’activité première de l’Église ; il s’agit aussi de la principale occupation des chérubins et des séraphins, ces serviteurs de Dieu qui entourent le trône céleste de leurs expressions incessantes de louange et de dévotion dans un feu ardent. Ésaïe 6 nous donne un bref aperçu de cette adoration céleste lorsque le prophète a dit avoir vu Yahvé :

[…] assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui ; ils avaient chacun six ailes ; deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils criaient l’un à l’autre, et disaient : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées ! toute la terre est pleine de sa gloire ! (És 6.1‑3.)

De plus, l’apôtre Jean nous informe que, dans sa vision, il a contemplé la salle céleste du trône et a entendu des myriades et des myriades d’anges s’exclamer d’une voix forte : « L’Agneau qui a été immolé est digne » et « À celui qui est assis sur le trône, et à l’Agneau, soientla louange, l’honneur, la gloire, et la force, aux siècles des siècles ! Et les quatre êtres vivants disaient : Amen ! Et les vieillards se prosternèrent et adorèrent » (Ap 5.11‑14). Plus loin, l’apôtre a vu « une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue [l’intégralité des élus de Dieu]. Ils se tenaient devant le trône et devant l’Agneau […] Et ils criaient d’une voix forte, en disant : Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône, et à l’Agneau » (Ap 7.9,10).

Ce coup d’œil à l’intérieur des portails du ciel révèle une adoration céleste fervente, révérencieuse, glorieusement digne, des plus joyeuses, entièrement centrée sur Dieu et intentionnellement axée sur la personne et l’œuvre rédemptrice de Jésus‑Christ. Voilà l’approche magnifique et céleste de l’adoration qui a inspiré et façonné, en partie, l’adoration des protestants pendant près de cinq cents ans. Par contre, cette réalité a malheureusement changé dans les derniers temps.

En règle générale, l’adoration évangélique est devenue carrément informelle, présomptueusement novatrice et bibliquement appauvrie. Ce fait tient surtout à l’abandon de la liturgie centrée sur Dieu et inspirée de la Bible. On a laissé de côté l’héritage liturgique des protestants, qui, pendant des siècles, les a amenés à adorer Dieu de manière biblique et à nourrir leur foi en Christ au simple moyen de la Parole et des sacrements.

C’est l’éclipse de l’adoration et de la liturgie bibliques qui a d’ailleurs conduit Jean Calvin à écrire, en 1544, un traité intitulé The Necessity of Reforming the Church (La nécessité de réformer l’Église). Il l’a envoyé à l’empereur Charles V, qui présidait à l’époque la diète de Spire, en Allemagne. Calvin espérait persuader ainsi l’empereur de la nécessité de réformer l’adoration superstitieuse qui gangrenait l’Église catholique romaine. Il fallait que la Parole de Dieu, et non des substituts humains, serve de fondation, de guide et de substance à l’adoration en public. Ce réformateur français a écrit :

Il y a deux raisons au fait que le Seigneur, en condamnant et en interdisant toute adoration factice, exige que nous n’obéissions qu’à sa seule voix. Premièrement, elle établit son autorité selon laquelle nous devons éviter d’agir à notre guise et dépendre entièrement de sa souveraineté ; deuxièmement, nous sommes tellement insensés que, lorsque nous jouissons d’une liberté totale, nous ne réussissons qu’à nous égarer. Par ailleurs, une fois que nous nous écartons du droit chemin, nous ne cessons d’errer jusqu’à céder à une multitude de superstitions. Le Seigneur est ainsi en droit, pour établir sa domination à juste titre, de prescrire strictement ce qu’il souhaite que nous fassions et de rejeter sur‑le‑champ tout moyen humain échappant à sa volonté. Il est aussi en droit de définir expressément nos limites, afin que nous évitions de provoquer sa colère en nous concevant des modes d’adoration pervertis (Jean Calvin, The Necessity of Reforming the Church, p. 17, trad. libre).

Bien que Calvin ait écrit cela il y a plus de 450 ans, cette citation illustre clairement notre propre contexte, dans lequel la conception et la substance de l’adoration en public se sont transformées en quête visant à satisfaire nos besoins ressentis plutôt qu’à glorifier Dieu. Les « modes d’adoration pervertis » caractérisent non seulement la messe du xvie siècle, mais aussi une grande partie de l’adoration évangélique du xxie siècle. Les messages thérapeutiques et l’art dramatique ont sapé l’autorité de la lecture et de la prédication de la Parole de Dieu. On a mis de côté la prière ardente, empreinte d’affection et substantielle au profit des annonces accrocheuses et des témoignages personnels. On a remplacé le meilleur de la psalmodie et de l’hymnologie théologiques riches et touchantes par des refrains de louange superficielle. Dans bien des endroits, on a réduit le baptême et le repas du Seigneur à des rituels sentimentaux et hasardeux. Bref, on a au mieux minimisé les moyens que Dieu a ordonnés et établis pour le salut de son peuple (la Parole, les sacrements et la prière) et au pire on les a abandonnés en faveur de quelque chose de complètement différent. Il faut récupérer la liturgie biblique, qui valorise et protège ces moyens.

Quand les chrétiens pensent à la liturgie, ils la considèrent souvent en fonction de l’adoration anglicane traditionnelle ou de la messe catholique romaine. À dire vrai, tous les cultes d’adoration chrétiens comportent cependant une liturgie. Or, il se peut que la liturgie soit plus difficile à déchiffrer dans certaines des expressions les plus spontanées de l’adoration chrétienne, mais elle s’y trouve néanmoins. Qu’une Église soit traditionnelle ou contemporaine, très structurée ou moins, tout culte d’adoration respecte une forme ou une autre. À ce sujet, D. G. Hart déclare :

Chaque Église s’est dotée d’une liturgie, que ses membres se considèrent eux‑mêmes comme liturgiques ou non. La liturgie constitue simplement une forme et un ordre d’adoration. Tant la messe anglo‑catholique (Église haute) que le culte d’adoration et de louange évangélique (Église basse) sont liturgiques au sens le plus étroit du terme. De toute évidence, ils diffèrent énormément sur le plan de la liturgie, mais les deux incarnent une forme et un ordre d’adoration (cité dans D. G. Hart, Recovering Mother Kirk: The Case for Liturgy in the Reformed Tradition, p. 70, trad. libre).

Le Larousse 2021 définit la liturgie ainsi : « ensemble des règles fixant le déroulement des actes du culte ». Vous remarquerez que la liturgie se définit comme une forme de règles, à savoir une forme imposée faisant autorité. Dans le cas de la liturgie chrétienne, c’est la Parole de Dieu qui doit dicter ou imposer cette forme. Par ailleurs, la Bible doit prescrire non seulement la forme de l’adoration, mais aussi son contenu. Si la forme et le contenu d’un culte d’adoration ne sont pas fixés par la Parole de Dieu, on peut difficilement parler d’adoration chrétienne.

La liturgie que prescrit la Bible préserve et promulgue l’adoration exaltant Dieu, centrée sur Christ et remplie de l’Esprit. Bien entendu, même avec une liturgie bien ordonnée, il est possible que les personnes présentes aient l’esprit ailleurs. Mais cela ne vaut‑il pas pour n’importe quel style ou forme d’adoration ? Qu’une Église confesse un credo ou chante un chant de louange enlevant, il s’y trouvera forcément des membres peu sincères. Par conséquent, il faut éviter que l’ordre d’adoration que prescrit l’Église ne soit dicté par ce qui, selon nous, enflammera les cœurs – quelque chose qui échappe en définitive à notre volonté. La Parole de Dieu inspirée et faisant autorité doit plutôt constituer la source et la substance de notre liturgie, mettant ainsi en valeur les moyens par lesquels Dieu a promis de bénir la vie de ses précieux enfants.

Dans mon Église, on suit chaque jour du Seigneur une liturgie déterminée qui varie rarement. Les anciens souhaitent que nos membres aient la certitude d’adorer Dieu, durant l’adoration en public de chaque semaine : par la lecture de la Parole de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament ; par le chant de psaumes et de cantiques, la confession des péchés, l’assurance du pardon de Dieu, la profession de foi selon un credo historique, la participation à la prière révérencieuse, la dîme et les offrandes ; par la proclamation, l’enseignement et l’application des Écritures au moyen de la prédication par exposition, de la participation aux sacrements qui renouvellent la foi et nourrissent l’âme et de la réception de la bénédiction finale inspirée de la Bible.

C’est par les moyens ordonnés par la grâce – la Parole et les sacrements – que notre Père céleste a promis de faire connaître Jésus‑Christ à son peuple. Ici encore, une bonne liturgie protégera, assurera et favorisera ces moyens. Par conséquent, si c’est par ces moyens que Dieu est le mieux glorifié et qu’il a promis d’en bénir le don et la réception fidèles dans la vie de ses enfants, pourquoi ne voudrions‑nous pas préserver un ordre d’adoration – une liturgie – qui garantit qu’ils seront mis de l’avant chaque semaine ?

Dans les pages suivantes, je tenterai de vous présenter une introduction relativement simple et conviviale à l’adoration historique protestante et réformée. Ainsi, mon livre vise à n’être ni savant ni exhaustif. J’espère qu’il vous mettra en appétit d’une étude plus approfondie.

Je prie ardemment pour que tous ceux qui liront ce livre soient convaincus du besoin urgent pour l’Église de retrouver une approche d’adoration en public qui reflète la Bible – centrée sur Dieu, axée sur Christ le Médiateur, remplie de l’Esprit et prescrite par la Parole – ainsi que le meilleur de notre héritage protestant et réformé. Saisissons de nouveau ce que signifie adorer dans toute la splendeur de la sainteté.


Cet article est extrait du livre : «La splendeur de la sainteté» de Jon D. Payne