La loi de la création (Albert M. Wolters)

Le mot « création » a un sens double

Lorsque nous parlons de « l’histoire de la création », nous faisons référence à l’activité de Dieu qui crée le monde en six jours ; lorsque nous parlons de « la beauté de la création », nous faisons référence à l’ordre créé, au cosmos qui en résulte (cosmos est un mot grec qui signifie dans ce cas « ornement », « parure »). L’activité créatrice (le processus) et l’ordre créé (le résultat) ne doivent pas être confondus.

Néanmoins, bien qu’ils soient distincts, ces deux sens du mot création sont étroitement liés. Cela n’est pas uniquement vrai dans le sens que la Création en tant qu’activité créatrice de Dieu s’est produite il y a longtemps, « au commencement », et que la création en tant qu’ordre créé est avec nous depuis lors. Cela est vrai, mais si nous n’en disons pas plus, nous naviguons dans les eaux troubles du déisme, l’hérésie selon laquelle l’activité créatrice de Dieu peut être oubliée une fois que l’horloge du cosmos a été remontée et que l’aiguille a commencé à tourner.

Le fait est que le même Dieu créateur et la même puissance souveraine qui ont créé le cosmos au commencement ont gardé en existence ce cosmos à chaque instant jusqu’à aujourd’hui. « Des cieux ont existé autrefois par la parole de Dieu, ainsi qu’une terre tirée des eaux et au milieu d’elles », écrit l’apôtre Pierre, faisant référence à l’histoire de la Création dans Genèse 1, mais « par la même parole, le ciel et la terre d’à présent sont gardés et réservés pour le feu, pour le jour du jugement et de la ruine des hommes impies » (2 Pi 3.5,7). 

« Créer » et « diriger » sont un tout dans le vocabulaire de Dieu

L’omnipotence souveraine de Dieu, par laquelle il rend toute chose telle qu’elle doit être, est la même au commencement de la création et à chaque instant de l’histoire de la Création. C’est ce que les théologiens entendaient lorsqu’ils ont écrit qu’il est difficile, voire impossible, de faire une distinction nette entre « création » et « providence » en tant qu’œuvres de Dieu. Le travail quotidien de Dieu qui consiste à préserver et à gouverner le monde ne peut pas être séparé de son acte de création du monde. « Créer » et « diriger » sont un tout dans le vocabulaire de Dieu.

De jour en jour, chaque détail de notre existence en tant que créature (même les cheveux sur notre tête), continue d’être formé par les « Qu’il y ait » de la volonté souveraine du Créateur. L’ordre créé ne peut être, à chaque instant, imaginé sans l’activité créatrice de Dieu. Les deux sont en corrélation : les deux sens du mot création vont de pair et sont inséparables.

Par conséquent, considérant l’idée biblique de création, nous ne devons pas perdre de vue un seul instant l’activité créatrice de Dieu qui est à l’origine du monde, le maintient, le guide et le dirige. En fait, si nous voulons rendre justice à l’enseignement de la Bible au sujet de la souveraineté de Dieu sur toute chose, nous devons donner au terme création la définition suivante : « la corrélation entre l’activité souveraine du Créateur et l’ordre créé ». 

Un problème terminologique

Cela suscite un problème terminologique qui est familier aux étudiants en théologie biblique et en dogmatique. Quel terme devons-nous utiliser pour décrire les actes de la souveraineté de Dieu par lesquels il constitue et maintient la totalité de la réalité ? La Bible utilise de nombreux mots différents ; elle parle de la puissance de Dieu, de son souffle, de sa parole, de son règne, de sa main, de son plan, de sa volonté, de son appel, de son décret, de ses ordonnances et de ses lois.

Tous ces termes expriment un aspect de ce que nous avons appelé la souveraineté de Dieu, à laquelle la réalité créée correspond, mais aucun d’entre eux ne saisit l’ensemble. Y a-t-il un seul terme que nous pouvons choisir qui signifie la totalité de son activité, afin de faciliter notre discussion au sujet d’une vision biblique du monde qui soit globale ? Ou bien devons-nous créer un nouveau terme technique, qui ne se trouve pas dans les Écritures elles-mêmes, à la manière dont les théologiens ont inventé des termes tels que trinité, sacrement et omnipotence ?

La loi est la manifestation de la souveraineté de Dieu dans la création

Nous allons utiliser le mot loi pour signifier la totalité des actes d’ordonnance de Dieu à l’égard du cosmos. Il aurait été tentant d’utiliser le mot création lui-même, mais nous avons vu à quel point ce mot est inutilisable – trop large parce qu’il fait aussi communément référence aux choses créées, et trop restreint parce que dans notre usage normal (contrairement à celui de la Bible) il exclut les actes de providence de Dieu. Un autre mot biblique acceptable est le mot sagesse, mais dans les Écritures il fait beaucoup plus souvent référence à la sagesse humaine. 

Un terme équivalent issu de la tradition théologique pourrait être « la volonté révélée de Dieu » ou « l’opera ad extra de Dieu », mais chacun de ces termes est rempli de connotations trompeuses. Le mot loi a l’avantage non seulement d’être un mot biblique central, mais aussi de diriger l’attention sur Dieu en tant que souverain, en tant que Seigneur et Roi absolu. La loi est la manifestation de la souveraineté de Dieu dans la création. Le Créateur formule la loi pour toutes ses créatures, il dirige le monde par décret ; toutes les choses vivent et se meuvent par son décret législatif et souverain : 

« Car il dit, et la chose arrive; il ordonne, et elle existe » (Ps 33.9).

La distinction entre la loi et l’Évangile

En utilisant le mot loi dans ce sens, nous devons faire attention de garder à l’esprit que nous faisons référence à la loi dans son rapport à la création, le dessein de Dieu pour le monde et pour la vie humaine depuis le commencement. Cela doit être distingué des actes salvateurs de grâce de Dieu dans la re-création, même si ces derniers sont intimement liés à la loi dans la création. En d’autres termes, dans ce rapport, aussi, nous devons opérer une distinction entre la loi et l’Évangile, bien qu’ils ne doivent pas être opposés l’un à l’autre.

Dans ce sens, le mot loi, même lorsqu’il est distingué des œuvres de la rédemption, est, par extension, très riche et diversifié. Il inclut une grande variété de choses, de phénomènes, de relations et de principes – en fait, il inclut toute l’étendue de la réalité créée. Ce n’est pas notre but de cataloguer ces choses maintenant (c’est le travail de la philosophie de faire un tel inventaire), mais il existe deux couples de distinction qu’il faut faire dans la catégorie englobante de la loi et qui réclament notre attention immédiate : la distinction entre la loi de la nature et les normes et la distinction entre les lois générales et particulières.


Cet article est tiré du livre : La création retrouvée de Albert M. Wolters