Comprendre l’aséité divine (R.C. Sproul)

La différence ultime entre Dieu et les autres êtres réside dans le fait que les créatures sont dérivées, conditionnelles et dépendantes. Cependant, Dieu n’est pas dépendant ; il a en lui-même le pouvoir d’être, il ne le tire pas de quelque chose d’autre. Cet attribut est appelé l’aséité de Dieu, du latin a sei, signifiant « de soi-même ».

Les Écritures nous disent qu’en Dieu « nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17.28), mais on ne nous dit nulle part que Dieu a son être en l’homme. Il n’a jamais eu besoin de nous pour survivre ou pour exister et pourtant nous ne pouvons pas survivre un instant sans la puissance de son être soutenant notre être. Dieu nous a créés, ce qui signifie que dès notre premier souffle, nous dépendons de lui pour notre existence même. Ce que Dieu crée, il le soutient et le préserve ; nous sommes donc aussi dépendants de Dieu pour notre existence continue que pour notre existence originelle. C’est la différence suprême entre Dieu et nous : Dieu n’a pas une dépendance de quoi que ce soit en dehors de lui-même.

Dans un essai littéraire, John Stuart Mill a réfuté l’argument cosmologique classique de l’existence de Dieu selon lequel tout effet doit avoir une cause, la cause ultime étant Dieu lui-même. Mill a dit que si tout devait avoir une cause, Dieu devait donc avoir une cause ; pour mener l’argument jusqu’au bout, nous ne pouvons donc pas nous arrêter à Dieu, mais nous devons demander qui est la cause de Dieu. Bertrand Russell était convaincu par l’argument cosmologique jusqu’à ce qu’il lise l’essai de Mill ; l’argument avancé par Mill fut une épiphanie pour Russell et il l’a utilisé dans son livre Why I Am Not a Christian[1].

Néanmoins, Mill avait tort. Sa vision était basée sur une fausse compréhension de la loi de causalité. Cette loi affirme que tout effet doit avoir une cause et non pas que tout ce qui est doit avoir une cause. La seule chose qui nécessite une cause est un effet et un effet requiert une cause par définition, car c’est ce qu’est un effet : quelque chose causé par autre chose. Mais est-ce que Dieu a besoin d’une cause ? Pas du tout, car il a son être en lui-même ; il est éternel et auto-existant.

Un garçon curieux alla se promener dans les bois avec son ami et lui demanda : « D’où vient cet arbre ? » Son ami répondit : « Dieu a fait cet arbre. » « Oh. Eh bien, d’où viennent ces fleurs ? » « Dieu a fait ces fleurs. » « Eh bien, d’où viens-tu ? » « Dieu m’a fait. » « D’accord, d’où Dieu est-il venu ? » L’ami dit : « Dieu s’est fait lui-même. »

L’ami essayait d’être profond, mais il avait profondément tort puisque même Dieu ne peut pas se créer lui-même. Pour que Dieu se soit créé, il aurait fallu qu’il soit avant d’exister, ce qui est impossible. Dieu n’est pas autocréé ; il est auto-existant. L’aséité de Dieu est ce qui définit la suprématie de l’Être suprême. Les êtres humains sont fragiles ; si nous passons quelques jours sans eau ou quelques minutes sans oxygène, nous mourons. De même, la vie humaine est exposée à toutes sortes de maladies susceptibles de la détruire. Mais Dieu ne peut pas mourir. Dieu ne dépend de rien pour exister. Il a le pouvoir d’être en lui-même et c’est ce qui manque aux êtres humains. Nous souhaiterions avoir le pouvoir de rester en vie pour toujours, mais nous ne l’avons pas, nous sommes des êtres dépendants. Dieu et Dieu seul a l’aséité.

La raison exige impérieusement un être qui possède l’aséité ; sans cela, rien ne pourrait exister dans ce monde. Il n’y eut jamais de période où rien n’existait, car si une telle période avait existé, rien ne pourrait exister maintenant. Ceux qui enseignent que l’univers est venu à l’existence il y a dix-sept milliards d’années pensent à l’autocréation (autopoïèse), ce qui est absurde puisque rien ne peut « s’autocréer ». Le fait qu’il y ait quelque chose maintenant signifie qu’il y a toujours eu de l’être.

Un brin d’herbe crie l’aséité de Dieu ; l’aséité n’est pas dans l’herbe elle-même. L’aséité est un attribut incommunicable. Dieu ne peut donner son éternité à une créature, car tout ce qui a un commencement dans le temps n’est pas, par définition, éternel. La vie éternelle peut nous être donnée pour l’avenir, mais nous ne pouvons pas l’obtenir rétroactivement. Nous ne sommes pas des créatures éternelles.

L’éternité en tant que telle est un attribut incommunicable. L’immutabilité de Dieu est liée à son aséité parce que Dieu est éternellement ce qu’il est et qui il est. Son être n’est pas candidat pour la mutation ou le changement. Nous, en tant que créatures, sommes mutables et finis. Dieu ne pourrait pas créer un autre être infini, car il ne peut y avoir qu’un seul être infini.


[1] Voir Bertrand Russell, Why I Am Not a Christian and Other Essays on Religion and Related Subjects, 39e éd., New York, Touchstone, 1967.


Cet article est adapté du livre : Nous sommes tous des théologiens – R. C. Sproul