Comment l’assurance du Christ devient l’assurance du salut (Sinclair Ferguson)

L’assurance n’est pas unidimensionnelle : tel est l’élément clé de la position des Frères du Marrow. Cette idée trouve sa source dans le Marrow lui-même, dans le dialogue entre Néophyte et Évangéliste qui introduit une longue discussion sur l’assurance :

Évangéliste : Comment vas-tu, mon ami Néophyte ? Tu me sembles bien sombre.

Néophyte : À vrai dire, messire, je réfléchissais à ce passage de l’Écriture où l’apôtre nous exhorte à nous examiner nous-mêmes pour voir si nous sommes dans la foi (2 Co 13.5) ; et il me semble qu’un homme peut penser être dans la foi alors qu’il ne l’est pas. Dès lors, messire, j’aurais plaisir à entendre comment je puis être sûr d’être dans la foi.

Évangéliste : Je ne saurais vous laisser vous poser la question, dans la mesure où vous avez édifié votre foi sur des fondements si fermes qu’ils ne vous feront jamais défaut ; autrement dit, la promesse de Dieu en Christ est si éprouvée qu’elle n’a jamais trahi aucun homme, et ne le fera jamais. Aussi je vous enjoins de vous saisir de Christ par la promesse sans vous poser la question à savoir si vous êtes dans la foi ou non ; car il est une assurance qui découle de l’exercice de la foi comme acte direct, c’est-à-dire lorsqu’un homme se saisit de Christ par la foi, et déduit de là son assurance.

Néophyte : Messire, je sais que le fondement sur lequel faire reposer ma foi est sûr ; et je crois que j’ai déjà édifié ma foi sur ces fondements ; cependant, comme je conçois qu’un homme peut penser qu’il l’a fait alors qu’il ne l’a pas fait, dès lors il me siérait de savoir comment je puis être sûr que je l’ai fait.

Évangéliste : Maintenant, je comprends ce que vous voulez dire ; il semble que vous cherchez non pas une base pour croire, mais une base pour croire que vous avez cru.

Néophyte : en effet, c’est ce que je recherche[1].

On voit poindre ici l’idée d’une distinction sans séparation – nécessaire à notre compréhension de l’assurance – entre ce que la théologie réformée décrit comme l’acte direct et l’acte réflexif de la foi.

Néophyte a cru (acte direct). Ce qu’il veut savoir n’est pas « Comment puis-je être sûr que Christ peut me sauver ? », mais « Comment puis-je être sûr que j’ai cru dans le Christ qui sauve ? » C’est la différence entre la capacité du Christ à sauver et la conscience d’avoir cette confiance et d’être parmi ceux qu’il sauve.

C’est précisément autour de ces enjeux que Boston et ses amis, en tant que pasteurs, semblent avoir trouvé secours dans la forme dialoguée du Marrow[2].

Ainsi pour Thomas Boston, l’assurance est nôtre, grâce au ministère tridimensionnel de l’Esprit : 1) il éclaire la Parole de Dieu et particulièrement les promesses de Dieu concernant le salut, et il illumine notre âme ; 2) il éclaire sa propre œuvre en nous afin que nous puissions contempler l’harmonie à l’œuvre dans nos vies entre la justification et la sanctification – toujours dans le contexte de la foi ; 3) il agit de temps à autre en portant témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu[3].

La réponse de l’Évangile à la question qui torturait Néophyte peut se formuler de la manière suivante.

Christ et la foi

Répétons-le : l’assurance du salut est le fruit de la foi en Christ. En effet, Christ peut sauver et sauve réellement tous ceux qui viennent à lui par la foi. Comme la foi est fiducia, à savoir la confiance en Christ comme celui qui peut sauver, il y a une certaine confiance et assurance inhérente à la foi elle-même. L’acte de foi contient en lui-même le germe de l’assurance. En fait, la foi dans son exercice premier est une assurance à propos de Christ. Cette dimension de l’assurance est par conséquent implicite dans la foi. C’est ce que John Murray affirme lorsqu’il écrit :

Le germe de l’assurance est certainement implicite dans le salut dont le croyant entre en possession par la foi, elle est implicite dans le changement qui s’est opéré dans son état et sa condition.

Il poursuit, non sans une certaine audace, mais avec pertinence :

Aussi faible que puisse être la foi d’un véritable croyant, aussi perturbé que soit son cœur à propos de sa propre condition, il n’est jamais, du point de vue de sa conscience, dans la condition qui précède l’exercice de la foi. La conscience du croyant diffère radicalement de celle de l’incroyant. À son niveau le plus faible, sa conscience de sa foi, de son espérance et de son amour ne tombe jamais au niveau de celle de l’incroyant au sommet de l’assurance et de la confiance[4].

On serait presque tenté de se demander si John Murray appartenait au groupe des Frères du Marrow !

Mais relevons une chose : c’est dans la foi et non pas en dehors d’elle que le chrétien dit « Je prends Jésus pour Sauveur ». Par corollaire, cette affirmation ne peut pas être formulée sans la foi, de sorte que la formule « Jésus est mien » ne tient pas non plus en dehors de la foi. Aucune assurance, implicite ou explicite, n’existe en dehors de la foi véritable.

Pourquoi est-ce si important ? Cela signifie par exemple qu’il n’est pas possible d’entretenir une conversation pastorale basée sur les prémisses suivantes : « Laissons de côté la réalité de ma foi pour un instant, et dites-moi comment je peux avoir l’assurance du salut. »

Le malentendu qui règne autour du « syllogisme pratique[5] », tout comme le rejet en bloc de ce dernier, pèche par son présupposé erroné : le syllogisme pratique (l’assurance du salut attestée par ses fruits) en effet ne fonctionne pas sans rapport à la foi. À l’inverse, il ne devrait pas être critiqué comme s’il avait pour but d’offrir une manière alternative de faire l’expérience de l’assurance du salut en dehors de la foi.

C’est la raison pour laquelle Évangéliste était si soucieux de clarifier exactement la nature de ce qui préoccupait Néophyte. Puisqu’il croit être un croyant, ce sont ses doutes sur l’authenticité de sa foi qui l’empêchent de jouir de l’assurance du salut. Il est sûr que Christ peut sauver ceux qui croient.

Cet article est tiré du livre : Le Christ et ses bienfaits de Sinclair Ferguson


[1]   E. Fisher, Marrow, op. cit., p. 243.

[2]   On peut s’aventurer à penser que ce mode de présentation dialoguée était plus efficace que beaucoup de présentations devenues monnaie courante dans les livres de counseling pastoral, dans lesquels chaque chapitre commence par une vignette du genre : « Elizabeth et Robert étaient venus consulter parce que leur mariage tombait en lambeaux », à la suite de quoi on assiste à une présentation des solutions qui les ont amenés à résoudre leur crise, le tout couronné d’une fin heureuse et les leçons à tirer d’une telle situation pour l’avenir. Le Marrow, au contraire nous fait passer par toutes les étapes du dialogue, point par point : non seulement cela ressemble beaucoup plus au travail pastoral, mais la démarche est aussi profondément théologique, comme tout travail pastoral devrait l’être (dans la mesure où en fin de compte, nos dysfonctionnements sont liés à notre connaissance de Dieu et à notre foi, notre amour et notre obéissance – ou à nos manques dans ce domaine).

[3]   Thomas Boston, The Whole Works, op. cit., vol. 2, p. 17.

[4]   John Murray, Systematic Theology, dans Collected Writings of John Murray, 2 vol., Édimbourg, Banner of Truth, 1977, p. 265.

[5]   NDT. Voir le paragraphe « Marcher dans la foi » au chapitre 10.