À John Kennedy : puissance de l’amour de Christ (Samuel Rutherford)

Aberdeen, 1637

Ces lignes serviront de témoignage à ce qui s’est passé entre Christ et moi. J’étais devant Lui comme un jeune orphelin abandonné et qui ne connaît pas ses parents. Il fallait donc ou que Christ me recueillît à Lui, ou que je me perdisse dans le désert. Et voici, Il m’a fait une place auprès de Lui, sa maison est devenue la mienne. Quand Il se prit à m’aimer, Il ne demanda pas si j’étais beau ou laid ; car son amour ne fait point acception de personne. Il m’aima avant que je m’en doutasse, et aujourd’hui je possède la fleur de son amour.

Qu’y a-t-il de plus doux que le parfum d’une belle rose épanouie au milieu du feuillage ? Il ne me manque rien, sinon le moyen de montrer ce que j’éprouve. Oh ! Si je pouvais exprimer le feu qui me dévore et en enflammer beaucoup d’autres à la gloire de Christ ! N’est-ce pas une pitié qu’il y ait tant de voix rendues muettes, parce qu’elles ont chanté les louanges du Seigneur ? Parce qu’elles ont parlé de cet amour qui tiendrait en une continuelle adoration les hommes et les anges si on les laissait libres d’exprimer ce qu’ils éprouvent. Hélas ! Que puis-je dire à ce sujet ?

Toutefois, trois choses m’étonnent : c’est d’abord tant de péchés entassés comme à plaisir devant l’amour de Christ ; la douceur infinie dont cet amour est revêtu, car, alors même que Jésus frappe, le coup est toujours donné pour le bien de l’âme, qui se console en étant châtiée par cette douce main ; enfin, quelle puissance quelle force se trouve dans cet amour ; celui qui le possède franchirait l’enfer, traverserait les eaux sans les toucher, tomberait dans le feu sans se brûler, triompherait, en un mot, de toutes les disgrâces et se réjouirait à l’approche de la mort.

Époux de mon âme, viens à moi, je t’attends ! L’épouse, qui est l’Église, est prête ; que n’êtes-vous déjà l’un et l’autre enlevés dans les cieux ! Avec quelle désespérante lenteur s’écoule le temps pour ceux qui languissent dans l’espoir d’être bientôt absorbés en Christ ! Que n’a-t-Il assez pitié d’un pauvre prisonnier, pour lui accorder une goutte du saint breuvage : la joie éternelle de celui qui aime son Sauveur ! Viens donc, ô, mon Dieu, afin que je jouisse de toi une fois encore avant de mourir ! Ce n’est pas pour rien qu’il est dit : « Christ est en vous l’espérance de la gloire » (Col 1.27).

Dès ici-bas posséder Christ par la foi, c’est l’avant-coureur de la gloire céleste et le gage le plus assuré que nous en jouirons avec Lui. Nous jeunes gens, nous devrions sans cesse soupirer après cette vie céleste dont les plus brillantes couleurs ici-bas ne sont qu’une vaine ombre en comparaison de celles du royaume de Dieu. Si nous ne pouvons obtenir de contempler l’Époux de nos âmes et l’accomplissement immédiat des promesses qui nous sont faites en Lui, contentons-nous des miettes qui tombent de sa table, jusqu’à ce que nous soyons admis au festin des noces de l’Agneau.

Le couvert est mis pour moi, la soirée s’avance. Viens, ô, mon bien-aimé, viens bientôt ! Oh ! Le plus beau des jours, quand luiras-tu ? Disparaissez, ombres de la nuit. Ce qui cause notre tourment spirituel, c’est que notre amour, uni à notre espérance, ne peut s’accomplir sans elle. Quelle peine ne serait-ce pas d’attendre sans espoir ?

Je demeure confondu des manifestations de l’amour de Jésus ; comment sa justice en laisse-t-elle une seule trace ? Je L’ai tant offensé ! Ah ! Si l’on me connaissait tel que je suis, comme on s’écrierait : n’êtes-vous pas honteux de demeurer en présence de l’amour du Sauveur ?

Ce que je souhaite maintenant, c’est que mon Seigneur m’accorde de plus profondes et sérieuses pensées sur ce qu’il fait pour moi. Que ne puis-je en connaître toute la valeur. En vain ma langue se fatiguerait à Le louer ; que peut-elle pour Lui, vermisseaux que nous sommes, indignes de l’approcher jamais ; et pourtant Il nous tend les bras, Il veut que nous venions à Lui ! Oh ! Mystère inexplicable, mes bras ne sauraient jamais mesurer la hauteur et la profondeur de son amour. Il faut donc que ma dette envers Lui reste non acquittée pendant toute l’éternité, avec celle de tous ceux qui sont entrés au ciel avant moi.

Ô vous tous, mes chers compatriotes, venez contempler la perfection infinie de votre Sauveur ! Plût à Dieu que je pusse lui amener de nombreux adorateurs ; mais cette nation a abandonné les sources d’eau vive. Le Seigneur ne la fait pas couler sur des charbons éteints. Malheur donc à ce pays, à cause de la colère du Seigneur qui va fondre sur lui !

Que la grâce soit avec vous.

S. R.


Cet article est tiré du livre : Lettres aux chrétiens affligés de Samuel Rutherford