4 raisons pour lesquelles l’Église ne pratique pas la discipline ecclésiale (Jeremy Kimble)

Certaines Églises ne pratiquent pas la discipline ecclésiale, car elles ignorent ce mandat biblique ou parce qu’elles ne savent pas par où commencer. D’autres, par contre, ont des craintes en ce qui concerne les conséquences que pourrait avoir une telle pratique. Ils connaissent l’enseignement biblique sur le sujet, mais ne sont pas convaincus que cela serait légitime et viable d’un point de vue pratique.

Ces églises rejettent la discipline pour plusieurs raisons. Certaines croient que cette pratique va à l’encontre du concept biblique de l’amour. Ils pointeront le fait que puisqu’aucun de nous n’est parfait, nous ne devrions pas essayer de nous débarrasser des gens lorsqu’ils pèchent. D’autres encore soutiendront que l’Église peut se tromper dans sa pratique de la discipline ecclésiastique, car l’église est remplie d’hommes imparfaits et pécheurs. Finalement, d’autres considèrent une telle pratique comme une invasion de la vie privée. Nous tenterons de considérer et de répondre à ces objections.

Objection #1 : la discipline découle d’un manque d’amour

Plusieurs voient la discipline sous toutes ses formes comme étant arrogante, cruelle et insensible. Au lieu de s’attarder sur le péché, l’amour devrait être tolérant. S’il est vrai que l’amour couvre une multitude de péché (1 Pi 4.8), l’Église doit également se rappeler que le péché conduit ultimement à la mort (Ro 6.23) et que la discipline est elle-même un acte d’amour. La discipline est un signe qui proclame la possibilité d’avoir part au jugement à venir. Dans ce sens, elle a pour but d’appeler à la repentance. Elle est aussi un moyen de persévérer dans la foi. [1] Ce qui peut paraître au premier abord comme un manque d’amour est en fait le moyen le plus efficace de démontrer notre amour, c’est-à-dire en amenant une personne à considérer la vie éternelle.

En cherchant à tourner le cœur de son peuple vers la sainteté, Dieu démontre son amour par des actes disciplinaires (Hé 12.3-11 ; voir 1 Co 11.17-32). Il a également délégué une part de cette autorité divine à son église, qui doit utiliser la discipline dans le même sens (Mt 16.16-19 ; 18.15-17).  L’objectif de la discipline est de voir les membres de l’Église poursuivre la maturité et la sainteté. Dieu dit clairement que son peuple sera caractérisé par la sainteté (1 Pi 1.15-16 ; voir Hé 12.14). La discipline est un des moyens qui permet de poursuivre la sainteté. C’est pourquoi la discipline, lorsqu’elle est appliquée selon les directives de Dieu, est un acte d’amour.

Objection #2 : l’Église est remplie de pécheurs

D’autres s’opposent à la discipline en disant que tous sont coupables de péché dans l’Église. Pour eux, la discipline est un acte d’hypocrisie, puisque nous sommes tous coupables et entachés par le péché. Quoique cela soit vrai, cela n’annule pas les textes bibliques qui commandent clairement la discipline dans l’Église. Plutôt que d’annuler notre responsabilité de pratiquer la discipline, la présence de notre péché devrait nous humilier et nous reprocher notre approche non biblique.

Considérez par exemple Mattieu 7.1, où il nous est dit : « Ne jugez pas afin de ne pas être jugée. » Il est intéressant de remarquer que dans notre culture présente, l’idée de juger une autre personne est perçue comme de l’arrogance ou de l’étroitesse d’esprit. Ce verset est souvent employé comme argument pour s’opposer au concept de discipline d’Église. Il s’agit en fait d’une mauvaise compréhension du texte. En fait, nous sommes appelés à nous juger les uns les autres au sein de l’Église (quoique pas de manière définitive comme Dieu seul peut le faire). Les paroles de Jésus dans Matthieu 18 et celles de Paul dans 1 Corinthiens 5,6 démontrent clairement que l’Église doit exercer un jugement. [2] Le jugement, dans le contexte de l’Église locale, est nécessaire et approprié, mais il doit être administré d’une certaine façon, sans quoi cela devient un péché (voir Mt 7.2-5 ; Ga 6.1).

L’Église ne doit certainement pas condamner une personne injustement. L’image qui nous est présentée dans Matthieu 7.1-5 (la paille et la poutre dans l’œil), nous rappelle que nous devons être critiques face à notre propre péché. Pas dans le but d’exclure le jugement des autres, mais plutôt comme un prérequis pour le jugement. [3] Cela concorde avec Galates 6.1, qui nous dit que nous qui sommes spirituels devrions chercher à restaurer ceux qui ont péché avec un esprit de douceur, tout en prenant garde à nous-mêmes afin que nous ne soyons pas tentés de pécher. Jésus et Paul n’ont donc pas complètement condamné la notion de jugement, mais ils ont plutôt appelé les gens de l’Église à être irréprochables dans leur manière de faire en leur demandant d’examiner leur propre cœur avant tout.

Objection #3 : l’Église peut se tromper

Certains doutent que l’Église possède l’autorité légitime d’adresser des avertissements aux pécheurs impénitents. [4] Si l’Église n’est pas infaillible, est-ce que le jugement qu’elle rend contre un pécheur sera toujours juste ? Il est très important de répondre à cette question.

Lorsque nous considérons la validité d’une décision rendue par l’Église, nous devons prendre en considération les passages clés de Matthieu 16 et 18. Ceux-ci traite spécifiquement de l’autorité conférée à l’Église par les clés du royaume ainsi que de la puissance concomitante pour lier et délier (Mt 16.19 ; 18.18).

Jésus ne donne pas carte blanche à son Église afin qu’elle puisse faire ce qui lui plaît, tout en s’attribuant sa bénédiction sur toutes ses actions. En fait, il donne aux Églises un sévère avertissement afin qu’elles n’abusent pas de ce principe et de cette pratique. Jésus donne une promesse qui concerne une situation très spécifique : le maintien de l’intégrité du corps de Christ. [5] Donc, si l’Église doit posséder l’autorité dont il est question en Matthieu 16.19 et 18.18, la communauté doit agir en accord avec la vérité de l’Écriture dans les détails de chaque situation disciplinaire. [6]

Alors, lorsqu’une Église agit en accord avec la Parole de Dieu — qu’elle soit grande et influente ou petite et d’apparence insignifiante —, elle possède une véritable autorité, bien qu’elle serve d’intermédiaire. L’Église possède un pouvoir décisionnel qui est reconnu dans le monde céleste, lorsque les décisions sont prises selon les directives divines. [7] L’exercice de la discipline dans l’Église est donc une affaire très délicate. Kevin Vanhoozer interprète adéquatement ces passages lorsqu’il dit : « Ultimement, seul Dieu peut juger le cœur humain. Toutefois, l’Église a aussi reçu la tâche dominicale et apostolique de préserver la vérité et de poursuivre la sainteté. » [8]  L’Église doit donc appliquer l’autorité qui lui a été accordée par Christ avec humilité et discernement.

Par conséquent, la discipline de l’Église est un « avertissement », non pas une déclaration « ex cathedra ». L’Église reconnaît Dieu comme le juge ultime de toutes choses. Ainsi, même si la discipline implique des reproches sévères et des avertissements solennels concernant un jugement « potentiel », elle ne devient pas infaillible, car l’Église demeure remplie de pécheurs faillibles. Elle devrait cependant être considérée avec le plus grand sérieux.

Objection #4: la discipline est trop invasive

Une dernière objection qui est soulevée concerne la protection de la vie privée. La discipline semble aller trop loin parce qu’elle « envahit » l’intimité de la vie des gens. Elle transforme souvent le péché privé en spectacle public. Selon certains, la discipline entraînerait une humiliation injustifiée en révélant des détails qui ne devraient pas être connus de tous.

Cette objection peut sembler justifiée dans une culture où l’autonomie et l’expression individuelle sont les principales valeurs, mais cela va à l’encontre de l’enseignement biblique. La foi détrône l’homme. Le concept de soumission à l’autorité d’un autre est au cœur de la foi chrétienne. Plus précisément, les croyants sont appelés à se soumettre à Dieu et à la loi du royaume, à l’Église locale et à ses dirigeants. [9] La soumission au royaume de Christ est synonyme de soumission à l’avant-poste terrestre de son royaume, c’est-à-dire l’Église. En devenant membres de la communauté de la nouvelle alliance qu’est l’Église, nous nous soumettons à sa discipline qui est sous l’autorité divine. Comme le dit souvent Mark Dever, si vous êtes chrétien, votre vie spirituelle est l’affaire des autres.

En résumé, la discipline de l’Église n’est pas un manque d’amour ou une violation de la vie privée perpétrée par des gens méchants. Dietrich Bonhoeffer en parle ainsi : « Rien ne peut être plus cruel que la tendresse qui livre l’autre à son péché. Rien ne peut être plus compatissant que la réprimande sévère qui rappelle un frère hors du chemin du péché. » [10] La discipline doit donc être exercée avec soin, humilité et douceur, visant toujours à diriger avec amour la personne vers la repentance et la vie qui est en Christ.

 

Note de l’éditeur : Cet article est un extrait adapté du nouveau livre de Jeremy Kimble, 40 Questions About Church Membership and Discipline.

Pour approfondir l’idée “d’être membre d’une Église locale” et ce que cela veut dire en pratique, nous vous suggérons le livre suivant qui vient juste de bénéficier d’une traduction française : Être membre d’une Église locale.

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NOTES

[1] Cette thèse est défendue dans l’ouvrage de Jeremy M. Kimble, That His Spirit May Be Saved: Church Discipline as a Means to Repentance and Perseverance (Eugene, Wipf and Stock, 2013).

[2] Mark E. Dever, « Biblical Church Discipline », SBJT 4, no 4, 2000, p. 29.

[3] Bruce Ware soulève ce point et le relie à la discipline d’Église: « Après que Jésus ait dit, comme il est souvent cité (“ne juge pas sinon tu seras jugé”), il poursuit en donnant des instructions précises sur la manière de bien reprendre un frère qui s’égare. Rappelez-vous qu’il nous avertit d’ôter premièrement la poutre de notre propre œil pour voir comment ôter la paille de l’oeil de notre frère (7.5). Ce qui est souvent ignoré dans ce passage, c’est qu’une fois que la poutre est enlevée, on a alors l’obligation d’aider son frère à enlever la paille de son œil. En d’autres termes, Jésus s’attend à ce que nous soyons des instruments qui aident notre prochain à progresser dans la sainteté. De la même manière, notre prochain peut nous aider à grandir. Essentiellement, la discipline d’Église est la structure formelle qui découle d’une saine pratique de redevabilité entre ses membres » (Bruce A. Ware,« Perspectives on Church Discipline », SBJT 4, n° 4, 2000, p. 87).

[4] Cette section provient du livre de Jeremy M. Kimble, That His Spirit May Be Saved: Church Discipline as a Means to Repentance and Perseverance, Eugene, Wipf & Stock, 2013, p. 135-137. Avec permission de Wipf and Stock Publishers (www.wipfandstock.com).

[5] Lauterbach affirme ceci : « [Jésus] bâtit son Église et il faut nous préoccuper soigneusement de ce processus. Quand l’Église agit selon sa volonté, telle que décrite dans sa Parole, alors le Seigneur lui-même est à l’œuvre à travers ses actions. Considérez cela comme sa main qui travaille à travers le gant de l’Église » (Mark Lauterbach, The Transforming Community: The Practise of the Gospel in Church Discipline, Ross-shire, Scotland, Christian Focus, 2003, p. 201).

[6] Voir Wray, qui affirme : « L’Église n’est pas rendue infaillible par ce texte, et cela n’engage pas non plus le Dieu saint à défendre ses erreurs. Le seul fait à établir à ce stade, cependant, est simplement que le Seigneur Jésus-Christ veut véritablement que son Église gouverne ses membres, même au point d’user de moyens disciplinaires quand cela s’avère nécessaire » (Daniel E. Wray, Biblical Church Discipline, Carlisle, PA, Banner of Truth, 1978, p. 3).

[7] Voir Roy Knuteson, Calling the Church to Discipline: A Scriptural Guide for the Church that Dares to Discipline, Nashville, Thomas Nelson, 1977, p. 36-37.

[8] Kevin J. Vanhoozer, The Drama of Doctrine: A Canonical-Linguistic Approach to Christian Doctrine, Louisville, Westminster John Knox, 2005, p. 424.

[9] Jonathan Leeman, Political Church: The Local Assembly as Embassy of Christ’s Rule, Studies in Christian Doctrine and Scripture, Downers Grove, IL, IVP Academic, 2016, p. 326-327. Voir aussi Oliver O’Donovan, The Desire of the Nations: Rediscovering the Roots of Political Theology, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 117.

[10] Dietrich Bonhoeffer, Life Together, traduit par John W. Doberstein, New York, Harper & Row, 1954, p. 107.