Pourquoi les pasteurs doivent être plus que des professionnels? (Michael Reeves)

Devenir comme Dieu

La connaissance de Dieu que la crainte du Seigneur procure n’est pas une connaissance stérile. Ceux qui craignent Dieu en viennent à le connaître de telle manière qu’ils deviennent réellement saints, fidèles, aimants et miséricordieux, comme lui. Par exemple, la fidélité d’Abraham envers Dieu, alors qu’il était prêt à offrir son fils Isaac, est la preuve qu’il craignait Dieu (Ge 22.12). Car, comme un feu dans le cœur, la crainte du Seigneur a un effet purificateur : « Par la bonté et la fidélité, on expie l’iniquité, et par la crainte de l’Éternel on se détourne du mal » (Pr 16.6, voir aussi Ex 20.20). Elle consume les désirs pécheurs et alimente ceux qui sont saints. Et le mot « désirs » est ici la clé, car la crainte du Seigneur n’empêche pas les croyants de commettre des péchés, au sens où elle nous fait simplement modifier notre comportement par crainte du châtiment. Au contraire, elle nous amène à adorer Dieu, à détester le péché et à aspirer à être vraiment et complètement comme lui.

Devenir comme Dieu doit signifier devenir heureux. Dieu, après tout, est « bienheureux » (1 Ti 1.11). L’Esprit qui nous est donné est l’Esprit de la crainte du Seigneur, qui nous amène à partager avec Christ le plaisir qu’il trouve lui-même dans la crainte du Seigneur (És 11.2,3). Craindre Dieu, c’est entrer dans cette vie divine bénie. Vous pourriez vous attendre naturellement à ce que la crainte de Dieu vous rende morose et ennuyeux, mais c’est tout le contraire qui se produit. Contrairement à nos peurs pécheresses, qui nous rendent nerveux et sombres, la crainte de Dieu a un effet profondément édifiant : elle nous rend heureux. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’elle nous amène à connaître ce Dieu ?

Des croyants au grand coeur

Remarquez, par exemple, comment la crainte du Seigneur et le réconfort qu’apporte le Saint-Esprit sont jumelés dans l’expérience de l’Église primitive : « L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie, s’édifiant et marchant dans la crainte du Seigneur, et elle s’accroissait par l’assistance du Saint-Esprit » (Ac 9.31). Car craindre Dieu, c’est connaître la consolation de l’Esprit, ainsi que le bonheur et la satisfaction de Christ en Dieu.

En plus de nous rendre heureux, la crainte du Seigneur élargit le cœur des croyants, comme celui de Dieu. Pensez à la belle petite histoire du prophète Abdias, à l’époque d’Élie :

La famine était grande à Samarie. Et Achab fit appeler Abdias, chef de sa maison. – Or Abdias craignait beaucoup l’Éternel ; et lorsque Jézabel extermina les prophètes de l’Éternel, Abdias prit cent prophètes qu’il cacha cinquante par cinquante dans une caverne, où il les avait nourris de pain et d’eau (1 R 18.2-4).

À cause de sa crainte de Dieu, Abdias, loin de se concentrer froidement sur lui-même, a été profondément généreux et  compatissant envers les prophètes chassés et démunis. Car la crainte du Seigneur est exactement le contraire de la dureté du cœur. En effet, Proverbes 28.14 oppose délibérément les deux :

Heureux l’homme qui est continuellement dans la crainte ! Mais celui qui endurcit son cœur tombe dans le malheur.

Cette douceur et cette largesse de cœur envers les autres sont en fait le débordement d’un amour préalable : la tendresse et l’affection que nous ressentons pour Dieu. Cela signifie que ceux qui craignent Dieu ressentent une jalousie (un autre mot très souvent mal interprété) envers Dieu. Charles Spurgeon explique :

C’est l’une des vérités les plus solennelles de la Bible : « Le Seigneur, ton Dieu, est un Dieu jaloux. » Nous l’aurions peut-être deviné, car un grand amour a toujours un voisin dangereux, la jalousie, non loin de là. Ceux qui n’aiment pas n’ont ni haine ni jalousie, mais là où il y a un amour intense et infini, comme celui qui brille dans le sein de Dieu, il doit y avoir de la jalousie1.

Une sainte jalousie

Une sainte jalousie ne doit pas être confondue avec une envie égoïste : c’est un amour qui n’abandonnera pas le bien-aimé ou qui ne se contentera pas de substituts. Comme Dieu le Père est jaloux de son Fils bien-aimé, et comme le Christ est jaloux de son épouse, de même l’Église, ceux qui craignent Dieu, ressent ellemême une jalousie aimante envers Dieu. Ils deviennent jaloux de la même manière qu’il est jaloux. Parce qu’ils l’adorent, ils ne peuvent pas supporter que sa gloire soit diminuée ou volée par des idoles ou par des gens. Les faux enseignements les affligent, non pas parce que cela contredit leurs points de vue, mais parce qu’ils le remettent en question. L’autosuffisance devient répugnante à leurs yeux, à cause de la façon dont elle dérobe la gloire de sa grâce.

Puis, de cette appréciation sensible de Dieu dans toute sa gloire grandit une autre qualité chrétienne : l’humilité. Paul écrit : « Ne t’abandonne pas à l’orgueil, mais crains » (Ro 11.20), car trembler d’émerveillement devant Dieu empêche de n’avoir confiance qu’en soi. C’est la clé de la vraie humilité, qui ne consiste pas à essayer de se considérer soi-même comme une personne moins importante, ou d’essayer de moins penser à soi-même, mais de s’émerveiller davantage de lui. Une vraie et heureuse crainte de Dieu éclipse simplement le moi. C’est, en d’autres termes, l’antidote à l’orgueil et au manque de prière qui découle de l’orgueil. Quand Dieu est si merveilleux à nos yeux que nous nous réjouissons et tremblons, nous ne pouvons que le louer et nous jeter à ses pieds en priant de tout cœur et en comptant sur lui. Nous ne pouvons pas être grands à nos propres yeux ni dépendre de nous-mêmes. Et ce n’est pas tout : cette crainte nous met tous au même niveau et nous unit en tant qu’Église. À la lumière de la magnificence miséricordieuse de Dieu, nous nous trouvons tous au même niveau devant lui comme de simples créatures pécheresses. Cette crainte n’admet aucune vantardise devant Dieu et donc aucune élite ni aucune seconde classe dans l’Église. Et parce que cette crainte est une si tendre adoration, elle lie aussi les uns aux autres tous ceux qui sont égaux devant Dieu. La crainte nous unit dans la communion humble et chaleureuse d’un amour partagé.

Joyeuse, aimante, humble et jalouse de Dieu, la juste crainte de Dieu fait la différence entre la religiosité diabolique superficielle et la merveilleuse foi en Christ. Elle fait également la différence entre des ministères superficiels, avides et professionnalisés, et des ministères qui donnent la vie, manifestant une intégrité enthousiaste et satisfaite.


  1. C. H. Spurgeon, “Godly Fear and Its Goodly Consequence,” in The Metropolitan Tabernacle Pulpit Sermons, 63 vols. (London: Passmore & Alabaster, 1855–1917), 22:233.

Cet article est adapté du livre : « Réjouissez-vous et tremblez » de Michael Reeves