Ne confondez pas votre passion avec la précision théologique (Kevin DeYoung)

Se soucier suffisamment pour être prudent

Je suis bien content de savoir qu’il y a dans le monde des gens – en fait la plupart des gens, semble-t-il – qui connaissent les voitures bien mieux que moi. Je ne cherche pas une personne gentille et bien intentionnée pour remplacer mon alternateur. Je veux quelqu’un qui a porté une attention particulière aux complexités de la réparation automobile. Je souhaite trouver quelqu’un qui se soucie de la précision et qui sait ce qu’il fait. Je veux un expert.

Agir comme si personne n’est mieux informé que les autres est non seulement absurde, c’est aussi une grave erreur. Dans son livre intitulé The Death of Expertise (La mort de l’expertise), Tom Nichols fait référence aux résultats d’une enquête menée il a quelques années selon lesquels l’enthousiasme pour une intervention militaire en Ukraine était directement proportionnel à l’ignorance d’une personne concernant ce pays. Il semblerait que plus nous sommes stupides, plus nous demeurons confiants à l’égard de nos réalisations intellectuelles. Nichols relate encore cet incident sur Twitter au cours duquel une personne essayait de faire des recherches sur le gaz sarin. Quand l’expert mondial en gaz sarin a proposé son aide, l’individu en question (un « crétin » de première classe, dirons-nous) s’est mis à lui reprocher sévèrement de se prendre pour un Monsieur-je-sais-tout. Le chercheur n’était peut-être pas savantissime, mais, dans ce cas-ci, ses connaissances dépassaient largement celles d’une personne s’appuyant sur un réseau d’internautes pour ses recherches en ligne. Et quand il s’agit de guerre chimique, je préfère que mes experts aient autant de compétences que possible.


Nous vivons à une époque où la passion est souvent considérée comme un substitut adéquat à la précision.


Nous avons avalé le mensonge qui dit que si nous croyons en l’égalité des droits, alors nous devons considérer que toutes les opinions ont une valeur égale. Nichols nous raconte aussi l’histoire d’un étudiant au premier cycle argumentant avec un astrophysicien de renom qui était sur le campus pour donner une conférence sur la défense antimissile. Voyant que le célèbre scientifique n’était pas prêt à changer d’avis même après avoir entendu la réfutation d’un étudiant de première année, ce dernier a conclu en maugréant : « Votre hypothèse ou la mienne, cela s’équivaut. » Ce à quoi l’astrophysicien a répliqué immédiatement : « Non, non, non. Mes hypothèses sont bien, bien meilleures que les vôtres1. » Il n’y avait rien de mal à ce que l’étudiant pose des questions difficiles ou même qu’il cherche à débattre des points. Le problème venait plutôt du fait qu’il s’imaginait avoir autant à offrir sur le sujet, après à peine quelques minutes de réflexion, que le scientifique après des décennies de formation et de recherche.

Exiger une réflexion rigoureuse

Nous vivons une époque où la passion est souvent considérée comme un substitut acceptable de la précision. Charles Spurgeon a un jour conseillé à de jeunes pasteurs de « faire valoir des arguments très durs à l’aide de mots très doux2 », s’ils se trouvaient entraînés dans une controverse. C’est une bonne chose que Spurgeon n’ait jamais utilisé les médias sociaux ! Trop de tweets et de billets se spécialisent dans des mots excessivement durs et des arguments particulièrement légers.

Plusieurs d’entre nous, même parmi les chrétiens, ont peu de patience en ce qui concerne la réflexion rigoureuse et peu d’intérêt pour la précision soignée. Nous exprimons nos émotions mieux que nous ne raisonnons, et nous décrivons mieux nos sentiments que nous ne définissons nos mots. Voilà bien une des raisons pour lesquelles nous avons besoin d’étudier les vieilles confessions écrites par des personnes aujourd’hui décédées. Quelles que soient les erreurs de dureté ou de rhétorique exagérée qui ont pu exister dans les discours théologiques des siècles passés, ceci reste merveilleusement vrai et rafraîchissant : leurs auteurs étaient inlassablement passionnés de vérité doctrinale. Ils se souciaient d’être fidèles aux Écritures, des définitions et de la précision. Loué soit Dieu, ils s’en préoccupaient suffisamment pour être prudents. Et il n’est aucune confession ou catéchisme de l’époque de la Réforme, où nous voyons cela avec autant de clarté que dans les Canons de Dordrecht.

Notes :

1 Tom Nichols, The Death of Expertise: The Campaign against Established Knowledge and Why it matters [La mort de l’expertise : campagne contre la connaissance établie et pourquoi cela importe], trad. libre, Oxford, R.-U., Oxford University Press, 2017, p. 82-83.

2 C. H. Spurgeon, Lectures to My Students, Complete and Unabridged [Conversations avec mes étudiants, complètes et intégrales], trad. libre, Grand Rapids, Mich., Zondervan, 1979, p. 173.


Cet article est adapté du livre : « La grâce définie et défendue » de Kevin DeYoung