Narnia nous aide à mieux vivre ici (Joe Rigney)

De nombreux lecteurs chrétiens, en découvrant des couches supplémentaires de signification dans les histoires de Narnia, sautent immédiatement à la conclusion que les Chroniques sont des allégories. Ces mêmes lecteurs seraient surpris d’apprendre que C. S. Lewis a nié à plusieurs reprises que ces histoires soient des allégories.

Les histoires narniennes ne sont pas des allégories

Mais ce n’est pas, comme certains le pensent, une allégorie (« Letter to Sophia Storr », dans The Collected Letters of C.S. Lewis, vol 3, 1113 ; trad. « Lettre à Sophia Storr, dans Les Lettres complètes de C.S. Lewis »).

Vous vous trompez lorsque vous pensez que tout ce qui se trouve dans les livres « représente » quelque chose dans ce monde. C’est le cas dans Le voyage du Pélerin, mais je n’écris pas de cette façon (Walter Hooper, Literary Criticism, 426 ; trad. « Critique littéraire »).

Lewis a défini l’allégorie comme :

Une composition (qu’elle soit picturale ou littéraire) dans laquelle des réalités immatérielles sont représentées par des objets physiques feints, par exemple une représentation de Cupidon représente allégoriquement l’amour érotique (qui est en réalité une expérience, et non un objet occupant une surface donnée de l’espace) ou, chez Bunyan, un géant représente le désespoir. (« Letter to Mrs. Hook », dans The Collected Letters of C.S. Lewis, vol 3; trad. « Lettre à Mme Hook, dans Les Lettres complètes de C.S. Lewis »).

Les deux éléments clés de cette définition sont les suivants :

  1. les allégories sont des objets physiques imaginés (« feints »), et
  2. elles représentent des réalités non-physiques (« immatérielles »).

Le procédé littéraire de la supposition

En niant que les récits narniens soient des allégories, Lewis ne nie pas pour autant le sens chrétien inhérent à ces récits. Mais son objectif était plus nuancé qu’une représentation d’une réalité invisible ; le procédé littéraire qu’il a choisi est plus justement appelé « une supposition ». Voici Lewis en ses propres termes :

Je ne me suis pas dit : « Représentons Jésus tel qu’il est réellement dans notre monde par un Lion dans Narnia. » Je me suis dit : « Supposons qu’il y ait un pays comme Narnia et que le Fils de Dieu, devenu Homme dans notre monde, y devienne un Lion, et alors imaginez ce qui se serait passé. » Si vous y réfléchissez, vous verrez que c’est une chose tout à fait différente. (Walter Hooper, Literary Criticism, 426 ; trad. « Critique littéraire »)

Ou encore,

Si Aslan représentait la divinité immatérielle, il serait une figure allégorique. En réalité, il s’agit d’une invention qui donne une réponse imaginaire à la question suivante : « Que pourrait devenir Christ s’il existait réellement un monde comme Narnia et s’il choisissait de s’incarner, de mourir et de ressusciter dans ce monde comme il l’a fait dans le nôtre ». (« Letter to Mrs. Hook » ; trad. « Lettre à Mme Hook »)

Cette distinction entre allégorie et supposition peut nous aider lorsque nous cherchons à être formés spirituellement en tant que véritables Narniens. Parce que les figures allégoriques rendent plus concrètes les réalités abstraites de notre monde, l’action se déroule toujours dans ce monde. Le désespoir du géant devient simplement un nom pour nos propres luttes dans ce monde. Le lien entre le monde narratif et le monde que nous habitons est si étroit que nous ne quittons jamais vraiment le nôtre. (Ces commentaires ne doivent pas être pris comme une critique des allégories, et encore moins du chef-d’œuvre de Bunyan, Le voyage du pélerin).

Aller là pour mieux vivre ici

Contrairement à une allégorie, une supposition nous oblige à sortir de notre monde pour aller dans un autre monde, ce que Tolkien a décrit comme un « monde secondaire ». En créant Narnia, Lewis nous invite à sortir de notre propre peau et à entrer dans celle de Peter, Susan, Edmund et Lucy (et plus tard de Caspian, Eustache, Jill, Shasta et les autres). Les défis que nous devons relever sont des défis narniens. Les victoires que nous remportons sont des victoires narniennes. Mais notre séjour à Narnia n’est pas une fin en soi. Nous allons pour pouvoir ensuite mieux vivre ici.  En nous faisant sortir de ce monde, Lewis nous permet de devenir ce que nous n’étions pas auparavant, quelque chose de plus grand et de plus grandiose, de sorte que, lorsque nous revenons de l’armoire, nous affrontons différemment nos propres géants du désespoir. Nous les affrontons en véritables Narniens.


Cet article est une traduction de l’article anglais « Narnia Helps Us Live Better Here » du ministère Desiring God par Timothée Davi.