Les dieux de l’évangile de la prospérité : Démasquer les idoles américaines en Afrique (Dieudonné Tamfu)

RÉSUMÉ : Le soi-disant évangile de la prospérité est une perversion de l’Évangile biblique, selon lequel Jésus est un moyen d’obtenir les bénédictions de la santé, de la richesse et du pouvoir. Les prédicateurs de cet « évangile » citent peut-être la Parole de Dieu, mais ils la déforment pour soutenir leur fausse théologie. En sortant des passages de leur contexte, en appliquant une herméneutique naïvement littérale, en adoptant une eschatologie surréalisée et en appliquant mal leurs textes, les prédicateurs de la prospérité déforment les Écritures et exploitent ceux qui les suivent. La meilleure façon de défier la théologie de la prospérité – et de s’en protéger – est d’enseigner une théologie biblique centrée sur Christ, qui réoriente notre vision du monde et notre désir de chérir Jésus par-dessus tout.

« La prospérité est la volonté de Dieu [et] le meilleur de Dieu pour vous. 3 Jean 1.2. »[1]

« En l’honneur du sacrifice de Jésus, je profite d’une richesse mal acquise. »

J’ai lu ces mots sur un prospectus pour une conférence locale intitulée « Conférence sur la prospérité : Le transfert de richesse ». Comme c’était sur Facebook, j’ai fait défiler les commentaires et j’ai vu que plusieurs personnes avaient écrit « Amen », ainsi que des commentaires tels que « Je me connecte à ce programme même si je ne serai pas présent au nom de Jésus ». Le prospectus avait des centaines de « j’aime » et de « cœurs ».

Je vis au Cameroun, où l’on ne peut pas échapper à l’évangile de la prospérité. J’ai récemment prêché une prédication sur la souveraineté de Dieu dans le salut lors d’une conférence baptiste. Immédiatement après avoir quitté la chaire, j’ai entendu l’orateur suivant crier : « Le plan de Dieu pour vous est le succès ! » J’espère que quelqu’un a remarqué l’incohérence.

Récemment, j’ai rendu visite à une famille pour partager l’Évangile. Quand je leur ai dit que j’avais de la fièvre et que je ne pouvais pas rester longtemps, ils se sont tous exclamés : « Un homme de Dieu, malade ? » Quelques semaines plus tard, une femme m’a demandé pourquoi j’étais revenu au Cameroun depuis les États-Unis. Je lui ai répondu que j’étais revenu pour prêcher et enseigner le vieil et vrai Évangile de Jésus parce qu’il y a de nombreux faux évangiles qui sont prêchés. Elle m’a demandé quels étaient les évangiles que j’avais à l’esprit. J’ai tout de suite senti qu’elle n’était pas à l’aise, mais avec prudence et clarté, je lui ai dit qu’il y a de faux évangiles qui promettent la richesse, la santé et le bien-être dans cette vie et enseignent que Jésus est le moyen d’atteindre ces fins. En réponse à cela, elle a présenté ce qui était pour elle un argument solide : « Jésus est devenu pauvre pour que nous devenions riches. Nous ne sommes pas destinés à souffrir. Dieu ne nous a pas destinés à autre chose qu’à la richesse et à la santé. La souffrance, la douleur et la pauvreté ne sont pas le lot d’un vrai croyant parce que Jésus est mort pour nous acheter ces choses. »

J’ai beaucoup d’autres histoires comme celle-ci. Il y en a plus que je ne peux en raconter parce qu’en Afrique de l’Ouest, il n’y a nulle part où se cacher des idoles américaines de la santé et de la richesse. Elles ont même infiltré les églises orthodoxes. Les prêcheurs qui enseignent fidèlement l’Évangile ne peuvent pas pénétrer dans les maisons de leurs membres et éteindre les télévisions qui diffusent en permanence des guérisons et des croisades miraculeuses.

Mon but est de démasquer l’évangile de la prospérité, en particulier dans sa déformation de l’Écriture, comme étant le message trompeur et sans espoir qu’il est, en espérant que Dieu puisse utiliser ces mots pour protéger et guider certains sur le chemin étroit qui les éloigne de ces enseignements cancéreux[2]. L’Afrique a besoin d’être purifiée des divinités étrangères de l’Occident, la terre où la santé, la richesse et le pouvoir sont devenus des dieux.

Qu’est-ce que c’est ?

Selon le dictionnaire anglais Collins, l’évangile de la prospérité est « une version moderne ou, selon certains, une perversion de l’Évangile selon laquelle les pleines bénédictions de Dieu disponibles à ceux qui s’approchent de Lui dans la foi et l’obéissance comprennent la richesse, la santé et le pouvoir ».

Bien que la définition de Collins soit bonne, je voudrais y apporter quelques modifications. Le dictionnaire mentionne ceux qui s’approchent de Dieu dans la foi et l’obéissance comme les bénéficiaires de ses bénédictions, mais dans les versions de l’enseignement de la prospérité en Afrique, l’obéissance est inconnue. Ces prêcheurs prêchent rarement, voire jamais, contre le péché. Contre l’incrédulité ? Oui. Seulement parce que c’est un moyen pour eux d’excuser leur incapacité à réaliser les miracles, la richesse, la santé et le pouvoir qu’ils promettent. Quand, comme des nuages sans eau (Jude 1.12), ils ne parviennent pas à tenir leurs promesses, ils mettent cela sur le compte du manque de foi des autres. Ainsi, la foi est pour eux un moyen d’excuser leur incapacité. Sur la base de mes interactions avec les défenseurs de la théologie de la prospérité et les enseignants de ce sacrilège, j’ai retravaillé la définition donnée dans Collins :

L’évangile de la prospérité est une perversion idolâtre de l’Évangile selon laquelle Jésus est un moyen d’obtenir les pleines bénédictions de Dieu, principalement en matière de richesse, de santé et de pouvoir, désormais à la disposition de ceux qui font confiance et obéissent à certains principes de foi prescrits par un homme de Dieu donné.

Bien que les adhérents ne soient pas d’accord sur le fait qu’ils pervertissent l’Évangile, il n’est pas nécessaire d’avoir un diplôme de théologie pour savoir que la théologie de la prospérité est une grande divergence par rapport à la vérité biblique. Cependant, une interprétation de la Bible attentive qui prend le contexte au sérieux nous aidera à mieux identifier les erreurs de ces prédicateurs. Avant de nous pencher sur certaines des façons dont ils interprètent mal les Écritures, demandons-nous pourquoi les prédicateurs de la prospérité les interprètent mal.

Pourquoi cet « évangile » existe-t-il ?

L’un des aspects les plus dangereux de la « maladie pernicieuse »[3] de la théologie de la prospérité est son recours à l’Écriture. Les enseignants de la prospérité doivent habiller leur enseignement dans des vêtements conformes aux Écritures pour empêcher les adeptes d’en détecter les défauts. Ils incarnent bien la description de l’erreur donnée par Irénée :

L’erreur, en effet, n’est jamais exposée dans sa difformité nue, de peur que, étant ainsi exposée, elle ne soit immédiatement détectée. Mais elle est habilement parée d’une robe attrayante, de manière à la faire apparaître aux yeux des non-initiés (aussi ridicule que l’expression puisse paraître) comme étant plus vraie que la vérité elle-même[4].

Les prédicateurs de la prospérité utilisent la Parole de Dieu, mais uniquement à leurs propres fins. En raison de leur manque de formation ou de leur rejet délibéré de la vérité, ils déforment la Parole de Dieu pour exploiter les autres[5].

Ces prédicateurs tordent les Écritures afin de tordre les bras de leurs adeptes pour obtenir leur argent. Ils tordent pour mordre les portefeuilles. Pourquoi écouterait-on des prédicateurs qui exploitent les autres, ou pourquoi prêcherait-on pour exploiter ? La convoitise. Les prédicateurs de la prospérité font appel à la convoitise des gens. Ils séduisent avant d’escroquer. Ils savent que les gens ont un désir insatiable pour les choses, la santé, le pouvoir. Ils le savent eux-mêmes. C’est donc ce qu’ils offrent, et c’est ce qu’ils amassent pour eux-mêmes, laissant à leurs adeptes des envies de même nature.

Cette offre est particulièrement attrayante pour les personnes en dehors de l’Occident, dont la plupart vivent dans une pauvreté abjecte. Mais elle s’adresse aussi à l’Occident riche. Qui ne veut pas être riche, en bonne santé et puissant ? Ou, dans le cas des Occidentaux, plus riches, en meilleure santé et plus puissants ? Nous aimons naturellement ces choses. Nous les chérissons. Pourquoi pas ? Elles apportent la sécurité. Donc si Jésus les obtient pour moi, je veux bien croire en lui.

Nous sommes tous, dans une certaine mesure, attirés par l’évangile de la prospérité. Il s’agit, selon les termes de Gordon Fee, « d’une dangereuse distorsion de la vérité de Dieu, un message qui ne peut en fin de compte faire appel qu’au caractère pécheur de l’homme »[6]. Caractère pécheur ? C’est en chacun de nous. Nous nous détournons facilement de Dieu avec colère lorsqu’il laisse entrer la souffrance dans nos vies et nous enlève les choses que nous aimons. La convoitise est un problème humain. Nous luttons tous avec elle dans une certaine mesure, ce qui signifie que nous devons faire preuve de douceur lorsque nous corrigeons ceux qui ont été trompés.

Mais Paul charge les croyants de tuer « la soif de posséder, qui est une idolâtrie » (Colossiens 3.5). La convoitise, la soif de posséder, dit-il, est terrestre, et c’est de l’idolâtrie. C’est de l’idolâtrie parce qu’elle détrône Dieu et son Christ dans le cœur et couronne les choses matérielles. Les biens remplacent Dieu. Lorsque la richesse, la santé et la puissance deviennent des dieux, Dieu devient le moyen pour obtenir ces dieux – telle est la marque de la théologie de la prospérité. Mais une telle recherche de la santé n’apporte que la mort, la richesse conduit au malheur et la puissance attire la misère[7].

Dans le Nouveau Testament, la convoitise « semble toujours impliquer la soif de posséder humaine qui conduit à l’exploitation des autres »[8].

Cependant, il y a eu parmi le peuple de prétendus prophètes ; de même, il y aura parmi vous de prétendus enseignants. Ils introduiront sournoisement des doctrines qui conduisent à la perdition, allant jusqu’à renier le maître qui les a rachetés, et ils attireront ainsi sur eux une ruine soudaine. Beaucoup les suivront dans leur immoralité, et la voie de la vérité sera calomniée à cause d’eux. Dans leur soif de posséder [convoitise], ils vous exploiteront avec des paroles trompeuses, mais leur condamnation menace depuis longtemps et leur ruine ne tardera pas. (2 Pierre 2.1-3, mis en italique)

Les yeux pleins d’adultère et jamais rassasiés de péchés, ils prennent au piège les personnes mal affermies ; ils ont le cœur entraîné par l’exercice à la soif de posséder [convoitise], et ce sont des enfants de malédiction. Ils ont quitté le droit chemin et se sont égarés en suivant la voie de Balaam, le fils de Béor, qui a aimé recevoir un salaire pour son injustice. (2 Pierre 2.14-15, mis en italique)

Lorsque la passion pour les choses matérielles devient dieu, Dieu et sa parole deviennent des moyens. Ce mouvement détrône Jésus, de sorte que sa parole ne devient qu’un manuel pour Mammon, un guide pour l’or, un tremplin pour être en bonne santé et un moyen pour acquérir du pouvoir. Le ministère devient un business. Les prédicateurs « voient la prédication comme un moyen de gagner de l’argent. En fait, le mot grec traduit par exploiter pourrait être utilisé pour désigner une transaction commerciale, comme c’est le cas dans Jacques 4.13, qui parle de personnes discutant de projets d’affaires. Pour les faux enseignants, le ministère est devenu un business visant à satisfaire leur convoitise »[9]. L’amour idolâtre et insatiable pour les choses conduit à des déformations grossières de la Parole de Dieu. Examinons quatre exemples.

Erreur 1 : Des textes sortis de leur contexte

L’un des premiers slogans que l’on apprend à la faculté de théologie est « Le contexte est roi ». Il est impossible de saisir le vrai sens d’une parole sans connaître son contexte. Sans le contexte littéraire, il n’y a pas de sens du tout ; tout ce que nous avons, ce sont des significations potentielles. C’est un terreau fertile pour les faux enseignants, car cela leur permet de faire passer le message qu’ils pensent que leur public veut entendre. Le pire ennemi de la fausse interprétation est le contexte. Andy Naselli affirme à juste titre à propos du contexte : « Garder à l’esprit les multiples couches du contexte littéraire vous aidera à interpréter de manière responsable. Sinon, vous risquez de commettre une éisegèse risible »[10]. L’éisegèse, qui consiste à voir dans le texte ce que vous voulez y voir, est le cadeau corrompu que partagent tous les prédicateurs de la prospérité. Voici quelques exemples courants.

« Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas » (Jacques 4.2b). Les prédicateurs de la prospérité utilisent ce verset pour enseigner à leurs disciples de « nommer et réclamer » ce qu’ils veulent. Lorsque vous lisez ce verset correctement dans son contexte, vous réalisez que Jacques ne nous enseigne pas en premier lieu comment prier, mais qu’il condamne notre convoitise (Jacques 4.1-4).

« Ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce qu’un homme aura semé, il le récoltera aussi. » (Galates 6.7). Les prédicateurs de la prospérité utilisent ce verset pour promettre à leurs disciples de plus grandes récompenses s’ils donnent de plus grandes sommes d’argent au prédicateur. Les versets suivants expliquent dans leur contexte que semer, c’est « faire le bien » et que ce que nous récoltons pour avoir fait le bien, c’est « la vie éternelle » (Galates 6.8-9). Ce verset n’a rien à voir avec l’argent.

« Christ nous a rachetés . . . C’est ainsi qu’en Jésus-Christ la bénédiction d’Abraham touche aussi les non-Juifs » (Galates 3.13a,14a). Les prédicateurs de la prospérité utilisent ce verset pour enseigner que Dieu nous donnera les bénédictions matérielles qu’il a promises à Abraham. Cependant, si vous lisez le verset dans son intégralité, vous constaterez que Paul explique ce qu’il entend par la bénédiction d’Abraham. Il s’agit de « l’Esprit qui avait été promis » (Galates 3.14b).

« Pour vous il s’est fait pauvre alors qu’il était riche, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis. » (2 Corinthiens 8.9). Il est évident que les prédicateurs de la prospérité interprètent ce verset comme traitant de l’argent. Mais que veut dire Paul ? Quelques versets plus haut, il parle des églises macédoniennes qui sont dans une « pauvreté profonde ». Elles ne sont pas riches, mais Paul dit qu’elles ont une « très grande générosité » (2 Corinthiens 8.2).

Les exemples abondent, car les prédicateurs de la prospérité ignorent presque toujours le contexte des textes sur lesquels ils prêchent. Une fois, je me suis rendu dans une Église de la prospérité et j’ai écouté une prédication intitulée « Votre gloire perdue ». La prophétesse prêchait à partir de Luc 15.8, qui dit : « Ou bien, si une femme a 10 pièces d’argent et qu’elle en perde une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? » À ma grande consternation, elle est entrée en scène avec un balai et a dit que nous devions balayer nos maisons spirituelles et retrouver notre gloire perdue. Elle a nommé la gloire perdue du mariage, de l’éducation et des visas. Bien que j’aie été choqué par une telle mauvaise interprétation de la Parole de Dieu, j’ai été bien plus surpris par l’enthousiasme dans la foule et le nombre de personnes tombant sous son « onction ». Si vous lisez le contexte de ce verset, vous constaterez que Jésus donne cette parabole pour décrire la joie du ciel « pour un seul pécheur qui se repent » (Luc 15.10). Malheureusement, la prédication de ce soir-là n’a pas produit de joie céleste. Personne n’a été poussé à se repentir, on leur a seulement appris à convoiter.

Un moyen facile de se protéger et de protéger les autres des faux enseignements est de lire le contexte littéraire. C’est tout. Lisez tout le chapitre de Luc. Lisez le livre de Luc en entier. Connaissez ce que l’auteur essaie de communiquer afin de ne pas être trompé aussi facilement.

Erreur 2 : Trop littéral

Une autre mauvaise méthode d’interprétation dans le mouvement de l’évangile de la prospérité est la lecture du langage figuratif dans l’Écriture de façon littérale. On entend souvent les adeptes dire, par exemple, « Jésus est mort pour que nous puissions vivre des vies abondantes ».

Jésus a bien dit : « Je suis venu afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance » (Jean 10.10). Dans le contexte, cependant, Jésus se met en contraste avec les faux enseignants qui sont comme un voleur qui « ne vient que pour voler, égorger et détruire ». Si nous prenons cela au pied de la lettre, Jésus dit qu’au lieu de puiser dans nos maisons et nos trésors, il les remplira d’abondance. Cependant, devrions-nous lire ce verset littéralement ? Est-il possible que Jésus utilise un langage figuratif pour communiquer une vérité spirituelle ?

Juste avant cette déclaration, au verset 9, Jésus dit : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages. » Puis il dit : « Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire ; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance. » (Jean 10.10). Jésus utilise clairement un langage figuratif au verset 9, puisqu’il n’est pas une porte littérale. Le langage du verset 9 suggère que nous lisions l’ensemble du passage comme étant figuratif, auquel cas le « voleur » et la « vie en abondance » sont également figuratifs. Cette interprétation est confirmée par l’auteur lui-même, Jean, qui affirme que Jésus parle de manière métaphorique : « Jésus leur tint ce discours figuré, mais eux ne surent pas ce qu’il leur disait. » (Jean 10.6 ; NBS). On peut donc conclure sans risque que « la vie en abondance » n’est pas une expression littérale. Si tel est le cas, que signifie « Je suis venu afin que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance » ?

Lorsque nous prenons en compte le contexte, nous ne pensons pas seulement aux versets qui encadrent le verset, mais aussi à l’ensemble du livre. Comment Jean utilise-t-il le mot « vie » dans l’ensemble de l’Évangile ? Dans le livre de Jean, le mot « vie » fait presque toujours référence à la vie éternelle. Nous devons donc envisager la possibilité que la vie que Jésus décrit ne soit pas présente, mais future. Dans Jean 10.10, la « vie en abondance » est une riche illustration de la vie éternelle du royaume, telle qu’elle est décrite dans d’autres passages de l’Écriture (cf. Ésaïe 35.1-10 ; 55.12-13 ; 65.17-25 ; Michée 4.1-5 ; Zacharie 14.1-21). Bruce Milne note que cette vie abondante « est brièvement aperçue en Éden, et vue en vision dans l’Apocalypse comme une ville descendant de Dieu, la sainte demeure de Dieu avec son peuple. C’est la vie pour laquelle nous avons été créés ».[11]

Erreur 3 : Le futur dès maintenant

Des titres de livres comme « Vivre le meilleur maintenant »[12], qui se vendent à des millions d’exemplaires dans le monde entier, révèlent une autre erreur d’interprétation majeure. Les prédicateurs de la prospérité ignorent le concept du « déjà, mais pas encore ». Pour eux, il n’y a pas de promesses futures. Le royaume des cieux est déjà venu dans sa plénitude. Nous pouvons donc avoir une santé parfaite dès maintenant. Nous pouvons jouir d’une vie sans souffrance dès maintenant. Certains prédicateurs de la prospérité enseignent même que nous ne mourrons pas si nous avons la foi. « La mort n’est pas votre part », déclarent-ils. C’est très gênant lorsque ces prédicateurs meurent.

Dans l’Ancien Testament, les prophètes ont prédit l’accomplissement de nombreuses grandes promesses lors de la venue de Christ. Dans le Nouveau Testament, nous découvrons que certaines de ces promesses s’accomplissent lors de la première venue de Jésus, tandis que d’autres s’accompliront lorsqu’il reviendra. L’incapacité des prédicateurs de la prospérité à saisir ce concept les conduit à attirer une trop grande partie de l’avenir dans le présent.

Erreur 4 : Mauvaise application

Après avoir interprété le sens d’un texte de l’Écriture, nous devons l’appliquer à notre vie. Si un prédicateur de la prospérité fait un pas vers l’interprétation correcte du sens d’un texte, il échouera probablement lamentablement dans l’application de celui-ci, un échec qui indique qu’il n’a jamais vraiment interprété ce dernier correctement.

On en trouve un bon exemple dans l’application de la phrase « Ne touchez pas à ceux que j’ai désignés par onction » (1 Chroniques 16.22 ; Psaume 105.15)[13]. Les prédicateurs de la prospérité enseignent que vous ne pouvez pas critiquer ou parler contre eux, les « hommes de Dieu », car Dieu dit : « Ne touchez pas à ceux que j’ai désignés par onction. » C’est leur application du texte, et c’est ainsi qu’ils s’élèvent. C’est une façon pour l’« homme de Dieu » de devenir plus important que Christ lui-même. C’est ainsi qu’ils échappent même à la prison. Un prédicateur de la prospérité nigérien a récemment avoué à sa congrégation qu’il avait commis un adultère, car sa femme avait fait de même. Mais il n’y a eu aucune conséquence ecclésiastique ou juridique, car les membres de l’église craignent de toucher l’« homme oint de Dieu »[14]. Dans ces églises, il est plus tolérable de parler de Christ de manière blasphématoire que de prononcer une parole contre l’homme de Dieu. Parce que l’oint ne peut et ne doit jamais être interrogé ou touché, les fidèles ne remettent jamais en question leur enseignement.

Robert Bowman examine la montée de l’usage courant de ce langage « ne touchez pas à celui que j’ai désigné par onction », montrant astucieusement que cette phrase interdit de tuer l’oint, mais qu’elle n’interdit pas de critiquer et d’examiner leur vie et leur enseignement[15]. Les prédicateurs de la prospérité appliquent à tort ce texte afin de contrôler leurs fidèles. Leur application est erronée, car elle contredit clairement l’Écriture, qui nous commande de mettre à l’épreuve tout esprit, tout enseignement et tout faux enseignant (1 Jean 4.1).

Une théologie biblique centrée sur Christ

Étant donné que les idoles américaines de la santé, de la richesse et du pouvoir – ou l’évangile de la prospérité – se nourrissent de la mauvaise interprétation de l’Écriture, la seule façon de les remettre en question est de recourir à une théologie biblique solide, centrée sur Christ. Comme les prédicateurs de la prospérité tiennent à l’autorité des Écritures, seule l’Écriture peut et doit réfuter le mauvais usage des Écritures[16]. La théologie biblique centrée sur Christ présente au moins trois avantages pour s’attaquer à ce mouvement.

Premièrement, une interprétation centrée sur Christ permettra de faire comprendre que la Bible ne parle pas d’abord et avant tout de nous, mais de Christ. Si les Écritures rendent témoignage de lui (Jean 5.39 ; Luc 24.44), il doit être au centre de notre méditation, de notre prédication et de notre enseignement bibliques. Cette approche centrée sur Christ montrera clairement que l’Évangile ne parle pas de la santé, de la richesse et du pouvoir ; au contraire, c’est Dieu en Christ qui est lui-même la Bonne Nouvelle. Jésus est mort pour nous amener à Dieu[17].

Deuxièmement, une théologie biblique centrée sur Christ transforme notre vision du monde afin que nous priions pour et désirions la santé, la richesse et le pouvoir uniquement s’ils servent notre joie en Christ et font progresser le royaume de Christ. En grandissant dans notre connaissance de Christ et de sa parole, nous apprenons à supporter patiemment la souffrance pour la gloire de Dieu et le bien des autres.

Troisièmement, la théologie biblique nous permet de comprendre que la santé, la richesse et le pouvoir nous sont principalement réservés dans la gloire, et que c’est alors que Dieu, et non ses bénédictions, sera au centre de nos affections. Dieu ne nous donnera tout que quand il sera devenu tout pour nous.

J’ai récemment organisé une conférence au Cameroun sur le royaume de Dieu. Nous avons enseigné ce que toute la Bible enseigne sur le royaume de Dieu, de la Genèse à l’Apocalypse. À la fin de cette conférence, un participant m’a partagé qu’il se sentait convaincu de son péché grâce à cet enseignement. Il s’est repenti de sa foi dans la théologie de la prospérité et a même avoué publiquement à son Église qu’il les avait induits en erreur. Une confession publique comme celle-ci est presque inconnue dans notre culture fondée sur la honte, mais la théologie biblique centrée sur Christ lui a permis d’être contre-culturel.

Alors que nous cherchons à aider ceux qui se laissent emporter par de faux enseignements, corrigeons-les avec douceur et patience (2 Timothée 2.24-25). Corrigeons les fausses méthodes d’interprétation. Ouvrons-leur toute la Bible pour qu’ils voient qu’il s’agit de Christ et du grand plan de rédemption de Dieu. Veillons aussi sur nous-mêmes, de peur que nous ne sombrions dans la même erreur. Jésus a dit : « Gardez-vous avec soin de toute soif de posséder, car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, même s’il est dans l’abondance. » (Luc 12.15)


Cet article est une traduction de l’article anglais « The Gods of the Prosperity Gospel » du ministère Desiring God par Timothée Davi.


[1] 3 Jean 1.2 est un passage fondateur du mouvement centré sur la santé et la richesse. Gordon Fee aborde et remet en question avec justesse l’interprétation erronée de l’évangile de la prospérité lorsqu’il déclare : « Élargir le souhait de Jean exprimé à Gaius pour qu’il fasse référence à la prospérité financière et matérielle de tous les chrétiens de tous les temps est totalement contraire au texte. Jean ne voulait pas dire cela, et Gaius n’aurait pas pu le comprendre ainsi. Il ne peut donc pas s’agir du “sens premier” du texte. Nous pourrions à juste titre apprendre de ce texte à prier pour que nos frères et sœurs “aillent bien à tous égards”, mais prétendre que Dieu veut notre prospérité financière, c’est faire un usage abusif du texte, et non l’utiliser justement » (The Disease of the Health and Wealth Gospels [Vancouver, CA : Regent College, 1985], 10 ; trad. « La maladie des évangiles de la santé et de la prospérité »).

[2] Mon article porte principalement sur la façon dont les prédicateurs de la prospérité déforment les Écritures. Pour des approches plus nombreuses et variées pour lutter contre cette imposture, voir Sandra L. Barnes, Live Long and Prosper : How Black Megachurches Address HIV/AIDS and Poverty in the Age of Prosperity Theology (New York : Fordham University, 2012 ; trad. « Vivre longtemps et prospérer. Comment les mégaéglises noires abordent le VIH/SIDA et la pauvreté à l’ère de la théologie de la prospérité ») ; Ken Mbugua et al., Prosperity ? Seeking the True Gospel (Plateau State, Nigeria : Africa Christian Textbooks, 2016 ; trad. « La prospérité ? À la recherche du véritable Évangile ») ; A.J. Swoboda, “Posterity or Prosperity ? Critiquing and Refiguring Prosperity Theologies in an Ecological Age”, Pneuma 37, no. 3 (2015) : 394–411 (trad. « Postérité ou prospérité ? Critique et refonte des théologies de la prospérité à l’ère de l’écologie »).

[3] Fee, Disease of the Health and Wealth Gospels, 1 (trad. « La maladie des évangiles de la santé et de la prospérité »).

[4] Irenaeus, “Against Heresies,” dans The Apostolic Fathers with Justin Martyr and Irenaeus, éd. Alexander Roberts, James Donaldson, et A. Cleveland Coxe, vol. 1 (Buffalo, NY : Christian Literature, 1885), 315 (trad. « Irénée, Contre les Hérésies »). J’ai lu pour la première fois la citation d’Irénée dans Dan R. McConnell, A Different Gospel (Peabody, MA : Hendrickson, 1988), 1 (trad. « Un évangile différent »).

[5] L’exploitation est une idée qui est toujours liée à la convoitise dans le Nouveau Testament. « Πλεονεξία », Moisés Silva, éd., NIDNTT&E, 2e éd. (Grand Rapids : Zondervan, 2014), 3:781.

[6] 6. Fee, Disease of the Health and Wealth Gospels, 1 (trad. « La maladie des évangiles de la santé et de la prospérité »).

[7] N.T. Wright commente Colossiens 3.5 ainsi : « En se détournant de la source de la vie, ceux qui suivent d’autres chemins poursuivent en fait la mort » (Colossians and Philemon : An Introduction and Commentary, vol. 12, TNTC [Downers Grove, IL : InterVarsity, 1986], 139). F.F. Bruce ajoute que « les péchés qui précèdent la convoitise dans le catalogue apparaissent régulièrement dans de telles listes, et il s’agissait certainement de péchés contre lesquels les convertis du paganisme devaient être mis sur leurs gardes ; mais la convoitise est d’autant plus dangereuse qu’elle peut prendre tant de formes respectables » (Bruce, The Epistles to the Colossians, to Philemon, and to the Ephesians, NICNT [Grand Rapids : Eerdmans, 1984], 144).

[8] « Πλεονεξία », Silva, NIDNTT&E, 3:781.

[9] Dieudonné Tamfu, 2 Peter and Jude, African Bible Commentary (Cumbria, UK: Langham, 2018), 49.

[10] Andrew David Naselli, How to Understand and Apply the New Testament: Twelve Steps from Exegesis to Theology (Phillipsburg, NJ: P&R, 2017), 190 (trad. « Comment comprendre et appliquer le Nouveau Testament : Douze étapes de l’exégèse à la théologie »).

[11] Bruce Milne, The Message of John, BST (Downers Grove, IL: InterVarsity, 1993), 147–48 (trad. « Le message de Jean »).

[12] Joel Osteen, Your Best Life Now: 7 Steps to Living at Your Full Potential, éd. rév. (New York: FaithWords, 2015 ; trad. « Vivre le meilleur maintenant. 7 étapes pour vivre votre plein potentiel »).

[13] Il est à noter que cette phrase ne fait même pas référence aux soi-disant hommes de Dieu. Costi Hinn aborde bien ce sujet dans son livre God, Greed, and the (Prosperity) Gospel : How Truth Overwhelms a Life Built on Lies (Grand Rapids : Zondervan, 2019; trad. « Dieu, la soif de posséder et l’Évangile (de la prospérité) : Comment la vérité l’emporte sur une vie bâtie sur des mensonges »).

[14] Joshua Iginla, le pasteur principal de la Champions Royal Assembly, à Kubwa, Abuja, a déclaré à sa congrégation : « Quand ma femme m’a trompé et a eu un enfant “impie”, j’ai dissimulé la nouvelle, mais quand je l’ai trompée, elle a commencé à me faire chanter », indiquant qu’il révélait la vérité principalement parce que sa femme refusait de dissimuler la nouvelle. En outre, un enfant est né de sa relation adultère, ce qui ne permet pas de le cacher au public. Voir Valerie Oke, « Shocking!!! Popular Abuja Pastor Openly Confesses to Cheating on Wife and Having “Unholy Child” » (trad. « Choquant !!! Un pasteur populaire d’Abuja confesse ouvertement qu’il trompe sa femme et qu’il a un “enfant impie” »), Information Nigeria, 4 mars 2019, consulté le 3 octobre 2019 ; « I and My Wife Committed Adultery, Abuja Pastor Joshua Iginla Confesses » (trad. « Ma femme et moi avons commis un adultère, confesse le pasteur d’Abuja Joshua Iginla »), consulté le 3 octobre 2019.

[15] Robert M. Bowman, Orthodoxy & Heresy (Grand Rapids : Baker, 1992), 35-36 (trad. « Orthodoxie et hérésie »).

[16] Par exemple, lisez le témoignage de Costi Hinn, neveu de Benny Hinn, qui décrit comment il a été bouleversé par la vérité lorsque l’interprétation correcte de l’Écriture a été mise sous ses yeux. Au chapitre 8, « Transformé par la vérité », il raconte la puissance de la vérité pour transformer celui qui nageait dans l’océan de l’évangile de la prospérité (God, Greed, and the (Prosperity) Gospel, 131–48 ; trad. « Dieu, la soif de posséder et l’Évangile (de la prospérité) »). Voir aussi Costi W. Hinn et Anthony G. Wood, Defining Deception: Freeing the Church from the Mystical-Miracle Movement (El Cajon, CA : Southern California Seminary, 2018 ; trad. « Définir la tromperie : Libérer l’Église du mouvement du mystique et du miraculeux »).

[17] Pour en savoir plus sur Dieu comme la plus grande nouvelle de l’Évangile, voir John Piper, God Is the Gospel : Meditations on God’s Love as the Gift of Himself (Wheaton, IL : Crossway, 2005 ; trad. « Dieu est l’Évangile. Méditations sur l’amour de Dieu manifesté par le don de lui-même »).