Les 3 dangers de la surcharge de travail (Kevin DeYoung)

Surcharge mentale

Aussi mouvementée et contrariante que la vie puisse être, les inconvénients matériel et temporel ne représentent pas les plus grands dangers. Une personne peut très bien faire un travail physique douze heures par jour et six jours par semaine pendant toute sa vie sans jamais en souffrir. Qui sait ? Cette personne sera peut-être même en meilleure santé. Cependant, si ce travail exerce sur elle de la pression — ce qui est le cas pour la plupart de nos emplois — les répercussions négatives sur son corps peuvent être désastreuses[1]. Par conséquent, il ne faut pas ignorer le danger que représente l’affairement pour notre corps. Il faut toutefois se rappeler que les plus grandes menaces sont spirituelles. Lorsque nous menons une vie de fou, nous mettons notre âme en péril. Le défi ne consiste pas seulement à nous débarrasser de quelques mauvaises habitudes, mais surtout à ne pas négliger notre vie spirituelle. Les dangers sont réels et croissants. Bien peu d’entre nous sont à l’abri de ces luttes.

1. La surcharge peut ruiner notre joie.

            Le premier danger est de laisser l’affairement nous ravir notre joie. Voilà la menace spirituelle la plus imminente et la plus flagrante. En tant que chrétiens, notre vie devrait être caractérisée par la joie (Ph 4.4), nous laisser un goût de joie (Ga 5.22) et être remplie de joie (Jn 15.11). L’affairement s’attaque à notre joie avant tout. Une étude a révélé que les navetteurs expérimentent des niveaux de stress plus élevés que les pilotes de chasse et les unités antiémeute[2]. C’est notre réalité. Un rythme de vie mouvementé suscite de l’anxiété, du ressentiment, de l’impatience et de l’irritabilité.

            En travaillant sur ce livre, j’ai senti mon esprit s’apaiser. Non parce que j’écrivais, mais parce qu’on m’avait accordé du temps pour le faire. Au cours de ces semaines, libéré de la pression des voyages, des réunions et de la constante préparation de prédications, je me suis montré plus patient avec mes enfants, plus attentionné envers ma femme et beaucoup plus attentif envers Dieu. Manifestement, nous traversons tous des semaines ou des mois où tout ce qui pourrait mal tourner tourne mal. Pendant ces saisons folles de la vie, nous devons lutter de toutes nos forces pour préserver notre joie. Cependant, peu d’entre nous luttent maintenant pour préserver la joie de la semaine prochaine en s’attaquant aux habitudes inhérentes à l’affairement qui transforment presque toutes les semaines en pagaille.

            Il y a plusieurs années, j’ai écouté une entrevue au sujet du concept de la « marge » avec Richard Swenson, un médecin chrétien. Cette notion ne présente aucune caractéristique particulièrement chrétienne, mais le fait de l’ignorer va certainement à l’encontre des valeurs chrétiennes. « La marge », affirme Richard Swenson, « c’est la zone tampon entre notre charge de travail et nos limites[3] ». Planifier en fonction de la marge signifie planifier en fonction des imprévus. Cela implique que nous connaissons nos limites en tant que créatures et que nous planifions en deçà de ces limites.

            Au cours de la dernière année, je me suis rendu compte que je ne prévoyais aucune marge dans mes semaines. En fait, j’inverse le processus, juste au cas où j’aurais le temps d’en faire plus. Je consulte mon emploi du temps et avant même que survienne la moindre interruption, une nouvelle occasion ou un contretemps, je me demande déjà comment j’arriverai à atteindre mes objectifs. Je vois les réunions planifiées, les prédications à préparer, les courriels à écrire, les blogues à afficher, les projets à mener à bien, les gens à rencontrer, et je me dis que si tout se déroule un peu mieux que prévu, j’aurai le temps de tout faire. Malheureusement, il n’y a pas de semaine idéale. Je me retrouve donc sans la moindre marge pour absorber les surprises. Je me mets au travail, je m’inquiète, je m’affaire. C’est tout ce que je peux faire au présent, car mes activités n’ont pas été planifiées avec soin au cours des semaines précédentes.

            Tout comme le péché, l’affairement a le pouvoir de nous tuer. Par conséquent, il faut le tuer avant qu’il n’y parvienne. La plupart d’entre nous tombent dans un cercle vicieux tout à fait prévisible. Un ou deux grands projets absorbent tout notre temps de sorte que le travail quotidien commence à nous oppresser. Nous désespérons, persuadés que nous ne retrouverons jamais la paix et déclarons que nous avons besoin de changement. Deux semaines plus tard, quand la vie est de nouveau supportable, nous oublions notre serment jusqu’à ce que le cycle recommence. Nous ne comprenons pas que pendant tout ce temps, nous sommes misérables et dépourvus de joie, acariâtres et irritants. Lorsque l’affairement s’en prend à notre joie, il s’en prend également à la joie de ceux qui nous entourent.

2. La surcharge peut dépouiller nos cœurs.

            Le second danger est de laisser l’affairement piller notre cœur. Un semeur semait généreusement. Une partie de la semence est tombée le long du chemin et les oiseaux sont venus la manger.Une autre partie est tombée dans un endroit pierreux, où elle a levé aussitôt, mais elle a brûlé et a séché dès que le soleil est apparu. Une autre partie est tombée parmi les épines, qui ont étouffé les petites pousses. Il y a une progression dans cette parabole de Jésus (Mc 4.1-20). Dans certains cœurs, la Parole de Dieu ne produit rien. Satan l’enlève dès qu’elle est semée. Dans d’autres cœurs, la Parole croît aussitôt, mais meurt tout aussi rapidement. Les persécutions et les épreuves neutralisent ainsi le chrétien en devenir. Dans la troisième catégorie de cœurs, la Parole est semée un peu plus profondément. Elle commence à croître, presque au point de donner du fruit. On dirait vraiment qu’il s’agit d’une bonne terre et qu’une nouvelle vie s’y enracine. Tout semble promettre une bonne récolte. C’est alors que les épines s’en mêlent.

            Jean Calvin décrit le cœur humain comme « une dense forêt d’épines[4] ». Jésus nomme deux sortes d’épines. La première s’appelle « les soucis du siècle » (Mc 4.19). Les retraites, les voyages missionnaires, les camps et les conférences sont presque toujours excellents pour votre croissance spirituelle. Pourquoi ? Parce que vous devez libérer votre horaire pour consacrer du temps à ces activités. Vous partez en laissant tout derrière vous. Vous mettez de côté votre routine mouvementée pendant quelques jours, vous trouvez le temps de réfléchir, de prier et de louer.


La surcharge est comme le péché : tuez-le, ou il vous tuera.


            Ce n’est ni l’hérésie ni l’apostasie qui nous fera dévier de notre profession de foi, mais plutôt les soucis de la vie. La voiture a besoin de réparations. Ensuite, c’est le chauffe-eau qui rend l’âme. Les enfants doivent consulter un médecin. Vous n’avez pas encore fait votre déclaration de revenus. Vous n’arrivez pas à équilibrer les comptes bancaires. Vous accusez un retard dans l’envoi de cartes de remerciement. Vous avez promis à votre mère d’aller réparer son robinet. Vous êtes en retard dans la planification de votre mariage. Les réunions du conseil approchent. Vous avez encore plusieurs demandes d’emploi à envoyer. Vous avez une dissertation à remettre bientôt. Le réfrigérateur est vide. Vous devez tondre la pelouse. Les rideaux doivent être remplacés. La machine à laver est de plus en plus bruyante. C’est la vie de la plupart d’entre nous, et elle mine à petit feu notre vie spirituelle.

            La deuxième sorte d’épines est reliée à la première. Jésus déclare que la convoitise étouffe le travail de la Parole en nous. Ce ne sont pas les possessions elles-mêmes qu’il faut condamner, mais tous les efforts que nous déployons pour en prendre soin et pour en obtenir davantage. Est-il surprenant que les personnes les plus stressées de la planète soient celles qui habitent les pays les plus riches ? Des villas, des bateaux, des autocaravanes, des appartements à location partagée, des investissements, des biens immobiliers, des motoneiges, de nouvelles voitures, de nouvelles maisons, de nouveaux ordinateurs, de nouveaux iMachins, de nouveaux jeux vidéo, du nouveau maquillage, de nouveaux DVD, de nouveaux téléchargements, des nouveautés qui toutes prennent un temps fou. De nombreux enseignements nous avertissent du danger que représente l’argent. Le vrai danger survient toutefois après que nous l’avons dépensé. Lorsque nous possédons un bien, nous faisons tout pour qu’il reste propre, fonctionnel et à jour. Si les soucis de la vie ne parviennent pas à nous submerger, c’est l’entretien de nos biens qui le fera !

            Les affirmations de Jésus sont toujours sensées. Certes, il nous encourage à prier pour qu’il éloigne de nous le mal et nous devons également prier pour l’Église persécutée. Or, la plus grande menace contre l’Évangile est l’épuisement. L’affairement tue plus de chrétiens que les balles. Bon nombre d’enseignements ne produisent aucun impact sur nous à cause du copieux repas que nous avons choisi de préparer ou du match de football que nous ne voulons pas rater. Combien de souffrances n’auront servi à rien, simplement parce que nous ne nous sommes jamais arrêtés assez longtemps pour réfléchir aux leçons que nous aurions pu en tirer ? Combien de fois au cours de nos temps de louange, seuls ou en famille, avons-nous eu l’esprit occupé à penser à nos projets scolaires ou à notre équipe de football ? Nous devons surveiller notre cœur. La semence de la Parole de Dieu ne grandira jamais en nous au point de porter du fruit à moins que nous émondions notre vie, la débarrassant de ce qui nous empêche de goûter au repos, au silence et au calme.

3. La surcharge peut couvrir la pourriture dans nos âmes.

Le troisième danger est de laisser l’affairement recouvrir la pourriture qui se loge dans notre âme. De toute évidence, le rythme effréné de la vie peut nous rendre malades, tant physiquement que spirituellement. Un horaire surchargé dénote parfois que l’âme est en mauvais état.

            Depuis 2002, mes amis du séminaire et moi nous donnons rendez-vous chaque automne. Neuf d’entre nous se rencontraient chaque semaine pendant nos années d’études à Gordon-Conwell. Lorsque nous avons obtenu notre diplôme, nous nous sommes engagés à nous revoir une fois par année. Au cours de ces rencontres, nous mangeons beaucoup, rions beaucoup et regardons beaucoup de matchs de football américain. Nous partageons également nos joies et nos luttes des douze derniers mois. Les années nous ont permis de remarquer nos différentes tendances. L’un de nous lutte habituellement avec l’insatisfaction, un autre avec le découragement, un autre avec la direction qu’il doit prendre, un autre avec des relations tendues au travail. Nous avons tous des péchés et des problèmes récurrents dans notre vie. Dans mon cas, c’est l’affairement. Lorsque c’est à mon tour de prendre la parole, tout le monde s’attend à ce que je dise que j’ai trop à faire et que je ne sais pas quoi éliminer de mon horaire.

            Il peut paraître malsain pour des adultes de lutter avec les mêmes problèmes année après année, mais le premier signe de guérison est apparu : nous reconnaissons que nous sommes responsables de nos luttes. Nous avons compris que si les mêmes hommes doivent s’en prendre aux mêmes luttes chaque année, c’est peut-être parce que le véritable problème se situe dans le cœur. Je transmets un message en étant si souvent débordé. Lequel ? Quelle leçon puis-je tirer de ma conduite ? Quelle promesse de Dieu n’ai-je pas encore saisie ? À quel commandement divin suis-je en train de désobéir ? Ai-je inventé de toute pièce un nouveau commandement que je devrais plutôt ignorer ? Quel est le problème de mon âme pour que l’affairement soit mon plus grand défi année après année ?

            Le fait que nous soyons si occupés est peut-être symptomatique de malaises encore plus profonds, comme le désir de plaire aux autres à tout prix, une ambition insatiable ou la peur de l’insignifiance. « L’affairement sert d’une certaine façon à nous rappeler notre existence, c’est un moyen d’éviter de ressentir le vide qui nous envahit », écrit Tim Kreider dans son article populaire « The “Busy” Trap » (Le piège de l’affairement), paru dans le New York Times. « Bien sûr, il semble impossible que la vie soit creuse, insignifiante ou vaine alors que notre emploi est si chargé et qu’on nous réclame de toutes parts[5]. » Le plus grand danger de l’affairement est de ne pas avoir le temps de remarquer les autres dangers qui nous guettent, et qui sont encore plus grands.

            Le fait d’être occupé ne signifie pas que nous sommes des chrétiens fidèles qui portent du fruit. Cela veut tout simplement dire que nous sommes occupés, comme tout le monde. Ainsi, comme tout le monde, notre joie, notre cœur et notre âme sont exposés à de multiples dangers. Nous avons besoin de la Parole de Dieu pour nous libérer. Nous avons besoin de la sagesse biblique pour nous remettre sur la bonne voie. Ce dont nous avons le plus besoin, c’est que le Médecin par excellence guérisse notre âme surchargée.

            Si seulement nous avions le temps de prendre rendez-vous avec lui.

Notes :

[1] Swenson, Margin [Prévoir une marge], p. 46.

[2] Chester, Busy Christian’s Guide [Le guide du chrétien occupé], p. 115.

[3] Ibid., p. 69.

[4] Jean Calvin, Commentary on a Harmony of the Evangelists [Commentaire sur l’harmonie entre évangélistes], vol. 2, Grand Rapids, Eerdmans, 1949, p. 116.

[5] Tim Kreider, « The “Busy” Trap » [Le piège de l’affairement], trad. libre, New York Times, 30 juin 2012.


Cet article est adapté du livre : « Vie de fou » de Kevin DeYoung