Le concept de l’enfer semble barbare et cruel, si Dieu est amour, pourquoi ne sauve-t-il pas tout le monde ?

Ma très chère Emma,

L’une des choses que j’aime le plus chez toi, c’est ton désir sincère de partager Jésus avec ceux qui t’entourent. Dieu t’a donné un cœur immense pour les âmes perdues. Tu as toujours été comme ça. Ton école maternelle chrétienne organisait chaque année une semaine dédiée à la mission et à l’amour de Dieu pour les nations. Une année, tu étais tellement enthousiaste après cette semaine-là que tu nous as dit vouloir devenir missionnaire… du haut de tes cinq ans !

Et voici que des années plus tard, tu te retrouves en quelque sorte sur un champ missionnaire : le campus. Je sais que les occasions de partager ta foi à l’université seront nombreuses ; je sais aussi que tu entendras une myriade d’objections au message de l’Évangile. J’en ai déjà mentionné certaines dans mes précédentes lettres, mais je voudrais te parler d’une autre objection majeure.

Certains de tes interlocuteurs réfuteront le postulat fondamental du christianisme, à savoir que nous avons tous besoin d’un sauveur. Leurs poils se hérisseront à l’idée qu’ils méritent la « colère » divine et ils répliqueront qu’ils sont de bonnes personnes. Ainsi, l’idée qu’ils pourraient subir un jugement éternel en enfer leur semble absolument barbare et inconcevablement absurde. Quel Dieu agirait ainsi ? Ils protestent : « Eh bien, mon Dieu ne ferait pas cela. Dieu est censé être un Dieu d’amour ! »

Après quelque temps, ce type d’objection t’affectera certainement au niveau personnel. C’est difficile d’annoncer une bonne nouvelle alors que tant de gens l’entendent comme une mauvaise nouvelle. Tu te mettras peut-être à douter de ton opinion sur des concepts comme le jugement, le péché ou l’enfer. Après tout, pourquoi Dieu ne sauve-t-il pas tout le monde ? Ce serait tellement mieux, tellement plus simple.

Malheureusement, certains auteurs connus dans le monde chrétien ont eux-mêmes commencé à émettre des doutes sur la doctrine de l’enfer. En 2011, Rob Bell, qui était pasteur à l’époque, a publié Love Wins (L’amour gagne), un livre dans lequel il explique que la notion d’enfer est « malavisée et toxique1 ». Sa rhétorique ressemble fortement à ce que tu entendras sur ton campus : « Pendant plusieurs milliers d’années, Dieu aurait donc créé des milliards d’individus, mais n’en aurait choisi que quelques-uns qui iraient au paradis pendant que le reste souffrirait pour toujours en enfer ? Cette situation est-elle acceptable aux yeux de Dieu ? Comment peut-on qualifier cela de “bonne nouvelle”2 ? » Rob Bell, déterminé à se débarrasser de cette doctrine déplaisante, présente un argument qui relève essentiellement de l’universalisme : l’enfer n’existe pas littéralement. Au bout du compte, nous trouvons tous le chemin qui nous ramène à Dieu.

Il nous faut donc examiner ces questions en profondeur. Alors seulement nous découvrirons que la doctrine de l’enfer, bien que délicate et ardue, prend tout son sens lorsqu’elle s’inscrit dans le contexte plus large de la vision chrétienne du monde.

Salut Dieu, ça va ?

La première chose que tu dois absolument comprendre, c’est que la plupart des gens ont une idée de Dieu qui diffère radicalement de ce que la Bible décrit. Ils considèrent que Dieu (du moins s’il existe) est un type plutôt sympathique et généralement décontracté, qui intervient dans notre existence uniquement lorsqu’on a besoin d’aide. Il ressemble à ce parent cool qui ne s’implique pas dans ta vie et qui ne se préoccupe pas de tes choix « tant qu’ils te rendent heureux ».

Dans cette conception de Dieu, la doctrine de l’enfer n’a strictement aucun sens. Pourquoi est-ce qu’un Dieu aussi aimant et désintéressé jugerait qui que ce soit ? Une fois de plus, cela démontre combien notre vision du monde joue un rôle central dans ce type de débats. Le fait de croire ou non en l’existence de l’enfer dépend des croyances antérieures et plus fondamentales de notre vision du monde concernant le caractère de Dieu, sa manière d’agir, etc.

Voilà qui te donne une occasion en or de demander à tes amis sceptiques comment ils savent que Dieu est tel qu’ils le décrivent. Où ont-ils trouvé ces informations ? Peuvent-ils avoir accès à l’esprit de Dieu, et si oui, comment ? La plupart des gens n’ont pas de réponse à cette question. Et la raison est simple : leur « dieu » est une création de leur propre imagination, un assortiment des traits de caractère et des attributs qu’ils aimeraient que Dieu possède.

Mais cette position génère tout un ensemble de problèmes. Si notre dieu n’est que le reflet de nos préférences et désirs personnels, comment pourrait-il être le seul vrai Dieu ? Cela ne revient-il pas à nous ériger nous-mêmes en tant que dieu ? Comme le remarque Timothy Keller, « si ton dieu et toi êtes toujours d’accord, c’est que tu vénères sans doute une version idéalisée de toi-même3 ».

Les chrétiens, au contraire, connaissent Dieu par l’intermédiaire de ce que leur enseignent les Écritures. Il est donc possible, voire très probable, que nous y trouvions un Dieu qui n’est pas conforme à chacune de nos préférences personnelles. Ce Dieu-là est même en désaccord avec nous sur certains points. Dans tous les cas, il est bien différent du dieu que s’inventent la plupart des gens. Le Dieu de la Bible est amour, mais pas seulement : il est également un Dieu de sainteté, de perfection, de pureté. Loin d’être unidimensionnel, il est à la fois juste et compatissant, Dieu de colère et de grâce, distinct de nous et vivant au milieu de nous.

La Bible décrit plusieurs rencontres entre des êtres humains et le Dieu de l’univers, et, en général, cela ne se passe pas du tout comme les humains s’y attendaient. Ils ne s’adressent pas à lui de manière désinvolte, en lui lançant un simple « Salut Dieu, ça va ? ». Au contraire, ils sont radicalement frappés par sa gloire et sa sainteté. Le prophète Ésaïe a rencontré Dieu dans une vision :

L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Des séraphins […] criaient l’un à l’autre, et disaient : Saint, saint, saint est l’Éternel des armées ! Toute la terre est pleine de sa gloire ! Les portes furent ébranlées dans leurs fondements par la voix qui retentissait, et la maison se remplit de fumée (És 6.1-4).

La scène est terrifiante. De la fumée. Un tremblement de terre. La voix des anges. Tout dirige notre attention vers la gloire inexprimable et inégalable de Dieu. Voilà pourquoi l’épître aux Hébreux déclare que « [c]’est une chose terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant » (Hé 10.31).

Si ce Dieu existe – celui qui est « saint, saint, saint » – alors il est totalement cohérent de penser qu’il jugera le péché.

Pécheur, connais-toi toi-même

Pour que notre conception de l’enfer soit juste, nous devons donc nous retrouver face à face avec le Dieu vivant. Mais nous devons aussi nous retrouver face à face avec nous-mêmes. Nous avons en effet besoin de prendre conscience que nous sommes de bien plus grands pécheurs que nous l’avions imaginé. Et ce n’est qu’en nous tenant devant le seul vrai Dieu que nous nous verrons tels que nous sommes réellement ; lorsque nous nous comparons à sajustice parfaite, nous comprenons à quel point nous ne satisfaisons pas aux exigences divines.

Ésaïe l’a appris à ses dépens. Après avoir vu Dieu dans toute sa gloire, sa vision de lui-même s’est complètement effondrée : « Alors je dis : “Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures, j’habite au milieu d’un peuple dont les lèvres sont impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Éternel des armées” » (És 6.5). C’est dans la présence de la sainteté de Dieu qu’Ésaïe se rend compte qu’il est sale, « impur ». Plus la lumière est vive, plus la saleté est visible. Et il ne faut pas oublier qu’Ésaïe était un prophète, c’est-à-dire sans doute l’un des hommes les plus saints de sa génération.

Ce n’est malheureusement pas ainsi que les gens jaugent généralement leur état. Soyons honnêtes : beaucoup de gens passent le plus clair de leur temps à se comparer aux autres. Ils s’imaginent que Dieu est satisfait d’eux, car ils se comportent mieux que la plupart des personnes qui les entourent et qu’ils n’ont pas commis de crime grave. Ils arrivent à se convaincre que si l’enfer existe, ce ne sera pas leur destination. C’est ce qu’a expliqué Jonathan Edwards : « Presque tout homme naturel, en entendant parler de l’enfer, se flatte d’y échapper4. »

Autrement dit, la majorité des gens trouvent l’existence de l’enfer inconcevable parce qu’ils se mesurent selon des critères auxquels ils satisfont déjà.

Et si les exigences n’étaient pas si simples à satisfaire ? Et si la norme était la sainteté parfaite de Dieu, et que nous étions des pécheurs déchus et corrompus qui chaque jour enfreignaient la loi divine un nombre incalculable de fois ? Jésus atteste de cette réalité en expliquant que nous enfreignons la loi de Dieu par nos actions, mais aussi dans notre cœur. Voilà pourquoi Jésus affirme que « quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur » (Mt 5.28).

L’enseignement de Jésus est révolutionnaire : la sainteté exige non seulement que nos actions soient justes et droites (et c’est déjà assez compliqué), mais aussi que notre cœur soit juste et droit. Autrement dit, c’est une norme impossible à satisfaire pour les êtres humains limités que nous sommes. Nous ne pourrions même plus compter le nombre de péchés commis. Nos péchés s’accumulent, jour après jour, mois après mois, année après année, à en dépasser le mont Everest. Et la majorité d’entre nous n’en a même pas conscience.

Un acte de trahison cosmique

Pour saisir toute la gravité de notre péché, il nous faut par ailleurs considérer un autre aspect que nous avons tendance à négliger. On pense généralement que le péché consiste à désobéir à une règle (et c’est vrai, dans un sens). Mais on oublie que le péché consiste également à briser une relation. Pécher, c’est cesser de donner notre plus profonde affection à celui qui la mérite (Dieu) pour la rediriger vers des choses qui, elles, ne les méritent pas.

Pécher revient à tromper. C’est une trahison cosmique. Dans le langage biblique, c’est de l’idolâtrie. Rappelle-toi en effet du premier des dix commandements : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face » (Ex 20.3).

Les êtres humains ont été créés pour adorer ; Dieu nous a faits ainsi. La question n’est pas « Sommes-nous des adorateurs ? », car c’est un fait avéré, mais plutôt « Quel est l’objet de notre adoration ? ». À qui ou à quoi consacrons-nous notre existence ? Si Dieu n’est pas l’objet de notre adoration, nous en trouverons forcément un autre.

L’idolâtrie entraîne des conséquences dévastatrices pour nous et pour ceux qui nous entourent. En ce qui nous concerne, nos idoles deviennent des oppresseurs cruels qui règnent sur notre vie et peuvent nous mener au désespoir. Si l’argent est notre idole, il n’y en a jamais assez ; si c’est le sexe, nous nous rendons compte qu’il nous laisse insatisfaits ; si c’est le « succès », quel qu’il soit, nous découvrons vite que la quête est futile. Les idoles sont incapables de supporter le poids qu’on leur met sur les épaules. Elles ne parviennent pas à être à la hauteur du statut divin qu’on leur attribue.

Pourtant, nous refusons inlassablement d’abandonner nos idoles. Le plus tragique, c’est lorsque nos idoles nous sont retirées (ou qu’on essaie de nous les enlever) et que notre dépendance est alors exposée au grand jour. Nous sommes prêts à tout pour conserver nos idoles – nous en prendre aux autres, nous venger, détruire nos collègues – parce que nous avons consacré notre cœur à ces faux dieux. Notre comportement ne diffère pas foncièrement de celui d’un toxicomane ; la chose qui nous détruit est celle-là même que nous aimons. C’est un constat déchirant, en réalité.

Pendant ce temps-là, Dieu se présente comme le seul vrai Dieu capable de satisfaire nos besoins, nos désirs et nos envies. Comment les pécheurs réagissent-ils à cette invitation divine imméritée ? Ils snobent Dieu, le rejettent, méprisent sa main tendue et sa miséricorde, et courent retrouver leurs chères idoles. Sans surprise, la Bible compare les pécheurs à une épouse infidèle : alors qu’elle ne fait légalement et légitimement qu’un avec son mari, que celui-ci fait preuve de bonté, de grâce, d’amour et de patience envers elle, elle continue d’avoir des relations avec d’autres hommes.

Voilà à quoi ressemble le péché.

Faisons comme si

Si Dieu est donc plus saint que nous le pensions, et si nous sommes plus pécheurs que nous n’osions l’imaginer, la doctrine de l’enfer ne semble plus aussi inconcevable. Il apparaît tout à coup plausible que Dieu juge notre péché. Si c’est effectivement le cas, que devrions-nous faire pour résoudre le problème de notre péché ?

Certaines personnes s’obstineront à répéter qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Peut-être que Dieu occultera notre péché et nous dira : « Ne t’en fais pas, je te pardonne ; on va faire comme si je n’avais rien vu. » Après tout, Dieu pardonne. C’est même sa spécialité, non ?

Ce raisonnement passe cependant à côté de tout ce que nous venons de voir. Dieu ne peut pas simplement « ignorer » nos péchés ; cela compromettrait son caractère saint et ferait de lui un juge injuste. Imagine un instant si un juge humain avait, dans sa salle d’audience, le pire des criminels – un individu ayant commis des crimes inqualifiables – et qu’il se contentait de le relâcher. Ce serait un déni de justice.

Lorsque tu avais environ dix ans, Emma, l’histoire terrible d’une petite fille prénommée Zahra Baker a fait la une des journaux de notre ville. Je m’en souviens parce que Zahra avait à peu près ton âge à l’époque. Sa vie avait été compliquée : elle avait eu un cancer très jeune qui avait malheureusement mené à l’amputation d’une jambe ainsi qu’à des problèmes d’audition. Un jour, elle a subitement disparu, et une traque massive s’en est suivie pour la retrouver. La police a fini par découvrir que sa belle-mère, qui l’avait maltraitée à maintes reprises au fil des années, l’avait assassinée et démembrée. Ce crime épouvantable avait capté l’attention de la nation, et en particulier celle des médias dans la ville de Charlotte. Toute l’histoire était déchirante. La belle-mère a été condamnée à presque trente ans de prison.

Et si la situation avait été toute autre ? Et si le juge avait déclaré à la belle-mère de Zahra Baker : « Vous savez quoi ? On commet tous des erreurs. Ce n’est pas bien grave. Je ne retiens aucune charge contre vous. » L’indignation de toute la nation aurait été immense. Imagine l’injustice ! Nous étions tous conscients, intuitivement, que cette femme devait être punie. C’était la bonne décision à prendre.

Si un juge humain doit punir le péché afin d’exercer la justice, à combien plus forte raison un juge divin. Si Dieu prétendait ne pas voir les péchés, s’il se contentait de détourner le regard, il serait profondément injuste ; à vrai dire, il ne mériterait pas qu’on lui obéisse. Comme le remarque Miroslav Volf : « Si Dieu n’était pas en colère contre l’injustice et la tromperie, et s’il ne mettait pas un terme définitif à la violence, il ne serait pas digne de louange5. »

En conclusion, Dieu ne punit pas les gens en enfer bien qu’il soit bon, mais bien parce qu’il est bon. Sa bonté dépasse l’imagination.

Et Jésus était visiblement du même avis. Si tant de nos concitoyens affirment que la doctrine de l’enfer est particulièrement offensante, ils doivent aussi tenir compte du fait que Jésus, lui, acceptait cette doctrine sans sourciller. Il considérait manifestement l’enfer comme un endroit bien réel de tourments éternels où Dieu exerce sa justice (Mt 13.42 ; Mc 9.43 ; Lu 16.23). D’ailleurs, Jésus a bien plus parlé de l’enfer que du paradis.

Questionne tes amis sur leur concept de la justice dans le monde. Dans leur vision des choses, comment la justice ultime aura-t-elle lieu ? Aura-t-elle même lieu ? Sans jugement dernier, les atrocités de ce monde – la maltraitance d’enfants, les génocides, l’oppression des plus pauvres, les agressions sexuelles, etc. – resteront donc sans réponse et impunis à tout jamais ? Qu’en est-il des Hitler, des Staline, des tueurs et des violeurs en série ? Qu’en est-il de la belle-mère de Zahra Baker ? La justice ne sera donc jamais rendue pour leurs actes ?

Tes amis constateront peut-être qu’ils désirent une forme de justice que leur vision du monde est incapable de leur offrir. L’ironie de la situation, c’est que la vision du monde la plus injuste est celle où l’enfer est absent, et c’est la leur. C’est ce que reconnaît Vince Gilligan, le créateur de la série télévisée Breaking Bad : « Je ressens comme un besoin d’expiation, ou de justice biblique, quelque chose dans le genre… J’ai envie de croire que le paradis existe. Mais je ne peux pas croire que l’enfer, lui, n’existe pas6. »

Évidemment, tes amis pourraient te concéder ce point et admettre l’existence possible de l’enfer tout en persistant à dire que seuls les gens vraiment, vraiment méchants y sont envoyés. Et bien sûr, ils n’en font pas partie : « Cette belle-mère mérite sa peine de prison, mais mes péchés ne sont pas aussi graves que les siens. Je n’ai jamais tué personne, moi ! » Mais c’est précisément là que se trouve l’erreur de jugement : nos péchés sont aussi graves que cela. Le péché n’est pas une simple « erreur » ; c’est un acte de trahison cosmique à l’encontre du Roi de l’univers. Qui plus est, Jésus a affirmé sans détour que l’on peut tuer dans son cœur : « Quiconque se met en colère contre son frère […] mérite d’être puni par le feu de la géhenne » (Mt 5.22).

C’est l’un des problèmes majeurs concernant notre compréhension du jugement divin du péché : on s’imagine que le jugement de Dieu devrait s’exercer à l’encontre des péchés des autres, surtout si ces « autres » sont des gens vraiment horribles. La Bible n’est pas du même avis et déclare que « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Ro 3.23).

Va-t’en, tache damnée !

Certains cherchent un autre moyen de résoudre le problème de leur péché. Conscients que Dieu ne peut pas se contenter d’ignorer leur péché, ils s’imaginent qu’ils peuvent remédier eux-mêmes au problème. S’ils font tous leurs efforts, s’ils s’engagent à pratiquer des habitudes saintes et une vie plus pure, alors peut-être que les bonnes actions qu’ils auront accomplies pèseront plus lourd dans la balance que les mauvaises. Voilà qui devrait suffire à couvrir leur péché, n’est-ce pas ?

En d’autres termes, on essaie parfois de remédier au problème du péché par un processus d’autopurification. Nous tentons de faire disparaître nos propres taches.

Le film Mission, avec Robert De Niro, était populaire à l’époque où j’étais moi-même étudiant. Il retrace l’histoire d’un marchand d’esclaves nommé Rodrigo Mendoza qui, dans un accès de rage, tue son propre frère et se retrouve en prison. À la demande d’un prêtre, il tente de faire pénitence pour son crime en relevant un défi exténuant : porter ses anciennes armes jusqu’en haut d’une montagne. La scène éprouvante est au cœur même du film et souligne la détermination d’un homme à payer pour sa faute. Une fois arrivé au sommet, il reçoit enfin le pardon tant convoité.

L’histoire est intense, et les thèmes font indubitablement écho dans notre propre vie. Pourtant, est-ce réellement ainsi que fonctionne le pardon ? Est-il vraiment possible de gagner notre salut en payant pour nos péchés ? La Bible le répète à maintes et maintes reprises : ce n’est pas ainsi que fonctionne le pardon de Dieu. Notre obéissance future à la loi ne peut pas remédier à nos péchés passés. L’apôtre Paul déclare sans ambigüité que « tous ceux qui s’attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction » (Ga 3.10). Même si nous parvenions à atteindre la perfection pour le restant de notre existence (chose impossible), cela ne changerait rien à nos péchés passés pour lesquels nous sommes véritablement coupables. Aucun effort ni aucune pénitence ne peut effacer la tache de nos fautes.

Hamlet, de Shakespeare, brosse un tableau plus juste du péché. Après avoir orchestré l’assassinat du roi, Lady Macbeth est rongée par la culpabilité. Une nuit, alors qu’elle se promène dans le château lors d’un épisode de somnambulisme, elle aperçoit le sang du meurtre sur ses mains et tente de l’effacer : « Va-t’en, tache damnée ! » Mais même dans son rêve, elle ne parvient pas à se laver les mains. Aucune pénitence ne l’efface ; le sang ne part pas.

Il en va de même pour nous, pécheurs. Malgré tous nos efforts pour devenir une meilleure personne, nous ne pouvons pas effacer nous-mêmes notre péché. Cela ne laisse qu’une seule option : il doit être effacé pour nous.

Injuste, mais en notre faveur

Ce que nous venons de voir nous permet de saisir à quel point notre situation est désespérée. Non seulement nous sommes des pécheurs sur qui la colère de Dieu repose (à juste titre), mais il n’y a rien que nous puissions faire pour changer la situation. Le seul qui soit capable d’agir et de changer les choses, c’est le Dieu que nous avons offensé. Ironique, n’est-ce pas ?

Voilà qui devrait radicalement affecter notre manière de concevoir l’enfer et renverser notre logique. Au lieu d’être choqués que Dieu envoie des personnes en enfer, nous devrions être stupéfaits qu’il décide de sauver qui que ce soit. Ce qui devrait nous surprendre, ce n’est pas que Dieu juge des pécheurs (quoi de plus logique), mais qu’il sauve certains d’entre eux.

C’est le paradis, et non l’enfer, qui représente le véritable mystère des Écritures. L’existence du paradis devrait nous couper le souffle ; comment un Dieu saint et des pécheurs perdus peuvent-ils se retrouver dans un même endroit, dans la paix et l’harmonie ?

Si le paradis existe, c’est grâce à l’œuvre de Jésus sur la croix. Lorsqu’il est mort, Jésus a payé la sanction que nous méritions et il a absorbé toute la colère qui aurait dû retomber sur nous. À la croix, la justice de Dieu a été entièrement satisfaite ; Dieu peut donc être en relation avec des pécheurs sans compromettre sa sainteté.

On peut considérer la chose sous un autre angle : à la croix, Jésus a porté la punition de l’enfer que nous méritions. Nous n’avons plus à subir le jugement éternel en enfer parce que Jésus a souffert les douleurs de l’enfer à notre place. Lorsque nous sommes unis à lui par la foi, nous recevons les bénéfices de son œuvre salvatrice.

Pourtant, rien n’obligeait Dieu à envoyer Jésus sur terre pour mourir à la place des pécheurs. Il aurait été absolument légitime pour Dieu de juger tous les êtres humains et de n’en sauver aucun. Et cela nous aide à répondre à une objection très courante, celle de « la personne sur l’île déserte », qui en résumé pose le problème ainsi : « Si on doit croire en Jésus pour être sauvé, qu’advient-il de la personne sur une île déserte qui n’a jamais entendu parler de Jésus ? Comment Dieu peut-il la condamner à aller en enfer parce qu’elle n’a pas cru en Jésus alors qu’elle n’a jamais eu l’opportunité de savoir ce qu’était la foi en Christ ? »

Cette objection rate la cible pour plusieurs raisons. Premièrement, personne n’est condamné à aller en enfer pour « ne pas avoir cru en Jésus ». Nous sommes condamnés à l’enfer parce que nous sommes des pécheurs rebelles qui ont enfreint la loi de Dieu. Et même la personne sur l’île déserte connaît la loi de Dieu, parce qu’elle est écrite dans son cœur (Ro 2.15). Deuxièmement, l’objection sous-entend que Dieu doit une « occasion » de salut à chaque personne, comme s’il s’agissait d’un principe de justice, d’équité. Mais Dieu ne doit rien à personne, ni le salut, ni une occasion de salut. Le salut est un don. Et un don, par définition, ne revêt pas un caractère obligatoire – sinon il cesse d’être un don.

Le fait que Dieu décide de sauver certains individus ne l’oblige nullement à sauver tout le monde.

Pendant mes études à l’université, je m’assurais toujours de prendre une copie du journal étudiant, The Daily Tarheel, avant d’aller à mon premier cours le matin. Ce ne sont pas les articles qui m’intéressaient, mais ma bande dessinée préférée, Calvin et Hobbes. Calvin est un garçon précoce de six ans, et Hobbes son tigre en peluche (qui est bel et bien vivant dans l’imagination de Calvin). Dans un épisode en particulier, Calvin se plaint auprès de son père parce qu’il juge qu’une situation est injuste. Son père lui donne une réponse toute faite : « Le monde est injuste. » La réplique de Calvin est inestimable : « Je sais, mais pourquoi est-ce qu’il n’est jamais injuste en ma faveur ? »

Voilà qui résume bien la grâce divine. Si Dieu est injuste pour les pécheurs, il est injuste en notre faveur. Il nous sauve alors que nous ne le méritons pas.

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Emma, la doctrine du jugement divin et d’un enfer éternel est difficile à comprendre. Tu seras tentée de la minimiser ou de l’effacer complètement. Comme nous venons de le voir toutefois, c’est une doctrine logique d’un point de vue biblique. Une fois que nous saisissons le véritable caractère de Dieu (il est saint) et qui nous sommes réellement (des pécheurs), alors l’enfer cesse d’être une doctrine inconcevable.

Il y a cependant une autre raison pour laquelle nous devons rester attachés à la doctrine de l’enfer. Si l’on perd l’enfer, on perd aussi l’Évangile. On s’imagine rendre Dieu plus aimant en estompant la doctrine de l’enfer, mais c’est l’inverse qui est vrai : minimiser l’enfer revient à minimiser ce que Jésus a fait pour nous à la croix. Cela rend Dieu moins aimant, en réalité, parce que cela rend l’œuvre de Jésus moins déterminante.

Par conséquent, c’est bien l’enfer qui est l’élément révélateur de l’amour incommensurable et insondable de Dieu. « Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous » (Ro 5.8).

Avec tout mon amour,

Papa


Cet article est tiré du livre : Guide de survie de l’étudiant chrétien de Michael J. Kruger