L’autorité de l’Église : un débat historique (R.C. Sproul)

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L’autorité ultime et incontestable de l’Église se trouve-t-elle dans les paroles apostoliques des Écritures ou dans le corps enseignant qui sert actuellement comme surveillant du troupeau de Dieu ? Telle était la question débattue au xvie siècle, époque à laquelle les réformateurs avaient déterminé que seule l’Écriture était la révélation ultime de Dieu faisant autorité ; l’Église n’a pas autorité sur un pied d’égalité avec les Écritures. Cependant, lorsque l’Église catholique romaine s’est réunie au concile de Trente au milieu du xvie siècle pour répondre à la Réforme, la quatrième session de ce concile a traité de la relation entre l’autorité de l’Église et l’autorité de l’Écriture. Au cours de cette session, l’Église a professé sa confiance en l’inspiration et l’autorité de la Bible, mais elle a aussi affirmé que Dieu se révèle à travers la tradition de l’Église.

Nous pouvons trouver la vérité de Dieu dans des endroits autres que la Bible. Nous pouvons la trouver dans des livres de théologie solides, dans la mesure où ils sont bel et bien solides, mais ils ne sont pas la source initiale de cette révélation spéciale. Toutefois, l’Église catholique romaine adhère à une « théorie des deux sources » selon laquelle il existe deux sources de révélation spéciale, l’une étant les Écritures et l’autre, la tradition de l’Église. Cette théorie a pour effet de placer l’Église sur un pied d’égalité avec la Bible elle-même en matière d’autorité.

La quatrième session du concile de Trente a été brusquement interrompue lorsque la guerre a éclaté sur le continent et certains des comptes rendus de ce qui s’est réellement passé au concile ne sont pas clairs. Dans le projet initial de la quatrième session, le décret indiquait que « les vérités… sont contenues en partie [partim] dans les Écritures et en partie [partim] dans les traditions non écrites ». À un moment décisif des délibérations du concile, deux prêtres se sont toutefois levés pour protester contre la formule « partim… partim ». Ils ont protesté sur la base que cette vision détruirait le caractère unique et suffisant des Écritures. Tout ce que nous savons à partir de là, c’est que les mots « en partie… en partie » ont été supprimés du texte et remplacés par le mot « et ». Cela signifie-t-il que le concile a répondu à la manifestation et a peut-être à dessein laissé ambiguë la relation entre Écritures et traditions ? Le changement était-il stylistique, ce qui signifie que le concile conservait encore deux sources distinctes de révélation ? Nous ne connaissons pas la réponse à ces questions uniquement à partir du compte rendu du concile de Trente, mais nous connaissons la réponse par les décrets et décisions ultérieurs de l’Église, plus récemment dans l’encyclique papale Humani Generis (1950), dans laquelle le pape Pie XII a avancé sans ambiguïté que l’Église adopte deux sources distinctes de révélation spéciale.

Pour sa doctrine, l’Église catholique romaine fait donc appel à la fois à la tradition de l’Église et à la Bible, ce qui rend le dialogue œcuménique très difficile. Lorsqu’une doctrine particulière fait l’objet d’un examen, les protestants veulent établir leur position strictement sur l’autorité de la Bible, alors que Rome souhaite inclure les décisions des conciles d’Église ou des encycliques papales ; nous voyons cela avec des sujets tels que la conception immaculée de Marie. Bien qu’aucune doctrine de ce type ne se trouve nulle part dans les Écritures, les catholiques romains en établissent une sur la base de la tradition.

En réponse à ceux qui défendent le sola Scriptura, l’Église catholique romaine soutient que puisque c’est par la décision de l’Église que certains livres furent officiellement inclus dans le canon, l’autorité de la Bible est soumise à l’autorité de l’Église et, en réalité, la Bible tire son autorité permanente de l’autorité encore plus grande de l’Église elle-même. Les protestants rejettent cela pour des raisons bibliques, théologiques et historiques. Les réformateurs ont limité aux Écritures le pouvoir de lier, parce qu’ils étaient convaincus que celles-ci sont la Parole de Dieu et que seul Dieu peut lier la conscience et possède une autorité absolue.

L’Église catholique romaine prétend que seul Dieu est l’autorité suprême, mais elle soutient qu’il a délégué cette autorité à l’Église et c’est ce qu’ils pensent qui est arrivé lorsque Jésus a dit à Pierre : « Tu es Pierre, et sur ce roc je bâtirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle » (Mt 16.18). L’autorité de Pierre et des apôtres a ensuite été transmise à leurs successeurs dans ce qu’on appelle « la succession apostolique ». La formulation catholique de cette croyance affirme que l’évêque de Rome, le pape, siège à la place de Pierre comme son successeur et exerce ainsi l’autorité de Pierre en tant que représentant du Christ sur la terre.

Que la Bible affirme clairement la succession apostolique est sujet à l’argumentation, et la controverse se poursuit quant à ce que Jésus voulait dire exactement, à Césarée de Philippe, quand il a dit qu’il bâtirait son Église sur le roc. Nous savons qu’il y a bien eu un processus de délégation ; le Christ est l’apôtre délégué par excellence, comme il fut démontré lorsqu’il a dit : « Je n’ai point parlé de moi-même ; mais le Père, qui m’a envoyé, m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et annoncer » (Jn 12.49). Le Christ a prétendu ne parler avec rien de moins que l’autorité de Dieu ; ainsi, lorsque l’Église reconnaît le Christ en tant que Seigneur, elle reconnaît que le Christ a autorité en tant que chef de l’Église et qu’il est donc supérieur à toute autre partie de l’Église.

Dans le processus de finalisation du canon des Écritures, l’Église a utilisé un terme latin, recipemus, qui signifie « nous recevons ». Cela indique que l’Église n’était pas arrogante au point d’affirmer qu’elle créait le canon ou que le canon recevait de l’Église son autorité. Plutôt, l’Église a reconnu que les livres du canon ont une autorité contraignante sur tout. Si Dieu devait apparaître devant moi aujourd’hui, si je lui demandais de prouver son identité en tant que Dieu et s’il le faisait de telle sorte que je ne pourrais m’empêcher de m’incliner devant son autorité, mon consentement à son autorité ne lui donnerait aucune autorité qu’il n’avait pas déjà. Je ne ferais que reconnaître l’autorité qui existait déjà et me courberais devant elle. C’est exactement ce que l’Église a fait au cours des premiers siècles lorsqu’elle a été impliquée dans le processus de reconnaissance formelle du canon des Écritures.

L’Église est toujours subordonnée à l’autorité de la Bible, mais cela ne signifie pas que l’Église n’a aucune autorité ; le gouvernement et les parents ont une autorité, mais cette autorité a été déléguée par Dieu. Ils n’ont pas l’autorité absolue qui vient avec la Parole de Dieu. Ainsi, toute autorité détenue par l’Église est subordonnée à l’autorité des Écritures.


Cet article est adapté du livre : Nous sommes tous des théologiens – R. C. Sproul