La spiritualité de Farel (Jason Zuidema)

Certains ont dit que la réforme de Farel était principalement une réforme de prière. Concernant tout ce qui se « marmonnait », se chantait et se disait dans les églises catholiques de sa jeunesse, Farel soulignera l’absence d’une véritable communication avec Dieu. Tant d’importance était accordée à ce qui était extérieur et formel qu’il y avait peu de moyens de conversation réelle. Cela est particulièrement vrai dans l’intensification de l’importance accordée aux actes de dévotion des derniers siècles du Moyen Âge : tous les types de pèlerinage, de vénération des reliques, de dévotions mariales, de méditations sur la Passion du Christ, d’exercices de pénitence, de l’utilisation du rosaire, et de l’observance des stations du chemin de croix seront entièrement développés au début du xvie siècle. 

En outre, au cours de ces siècles, on notera la division grandissante entre le travail des prêtres et celui de la personne commune : le prêtre effectue une grande partie de la liturgie courante dans une langue étrangère et à voix basse. Farel verra que l’importance accordée à la compréhension des laïcs est réduite, tandis que l’accent est progressivement placé sur le fait d’observer le prêtre s’acquitter de ses tâches religieuses. Cette tendance ne concerne pas tous les catholiques de cette époque, mais semble correspondre à ce que Farel a connu dans sa jeunesse.

Sa passion pour la prière en langue courante

En commençant à saisir les idées d’une réforme de l’Église, Farel verra notamment l’impact pratique sur les prières des fidèles. Comme Luther et beaucoup d’autres réformateurs, Farel se passionnera bientôt pour la prière en langue courante. Nous verrons cette passion prendre forme dans la formulation de liturgies française, mais aussi dans son travail sur la Bible en français, le livre de prières ultime. 

Dès le début de sa carrière, Farel verra l’importance d’une prière appropriée. Dans son petit manuel sur le Notre Père, il écrira : 

Et lorsque notre foi tient compte uniquement des profondeurs de la bonté divine, selon toute la miséricorde et la bonté de Dieu, l’un des fruits les plus nobles qu’elle produit est la prière : l’élévation de l’esprit et la compréhension de Dieu. Mais étant donné que nous ignorons ce que nous devons demander et comment formuler notre prière, ainsi qu’il est écrit dans Romains, le bon Jésus, qui fut si profondément humilié pour nous, a voulu nous montrer comment prier, quant à la forme et à la manière. Il nous a commandé de prier ainsi : « Notre Père, qui est ». 

Par conséquent, nous devons tous dire cette prière avec un très profond respect et beaucoup d’humilité de cœur, ainsi qu’une très grande ferveur d’esprit, et réfléchir à chaque parole prononcée dans la prière. Nous devons le faire pour l’honneur de celui que nous prions, oui, de celui qui nous a indiqué cette façon de prier. Jusqu’à présent, les brebis de Dieu ont reçu une très mauvaise instruction dans ce domaine-là, en raison de la grande négligence des bergers, qui doivent les instruire à prier dans une langue compréhensible, au lieu de murmurer seulement du bout des lèvres sans rien y comprendre.

Théodore van Raalte, historien en théologie, a raison de dire que Farel « combine ici la compréhension rationnelle avec les profondeurs de la passion ». Être en mesure de comprendre sa propre prière établit un lien direct avec l’adoration et l’honneur que l’on voue à la personne à qui l’on adresse ses prières. Cela rappelle aussi à celui qui prie que toute existence, surtout quand il s’agit de la vie d’un réformateur zélé, ne peut pas s’accomplir par la capacité humaine seulement, mais par la miséricorde et la bonté de Dieu.


Cet article est tiré du livre : Guillaume Farel de Jason Zuidema