La nécessité et le danger du ministère de la miséricorde (Mez McConnell)

L’Église a une mission

Christ ressuscité a donné une mission à son peuple : par la puissance du Saint-Esprit, ils devaient prêcher l’Évangile et former des Églises avec de nouveaux croyants. Dans Matthieu 28.19,20, Jésus envoie ses disciples faire des disciples à travers les nations et enseigner l’obéissance (voir le chap. 3 pour en savoir davantage). Dans Actes 1.8, il dit à son peuple d’être ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre. Alors qu’une Église peut mettre en œuvre différentes choses pour remplir cette mission, tout ce qu’elle fait devrait viser ces buts ultimes : proclamer l’Évangile et aider les gens à croître dans leur obéissance à Dieu. Toyota vend des automobiles, Coca-Cola vend des boissons gazeuses, et l’Église offre l’Évangile et forme les gens à obéir en étant actif dans le ministère. Si nous n’accomplissons pas la mission, personne ne le fera. Si nous faisons autre chose, nous faisons fausse route[1].

Les ministères de compassion peuvent contribuer à la mission de l’Église

Les ministères de compassion peuvent constituer un moyen, pour une assemblée, d’accomplir la mission. Par exemple, ils peuvent offrir aux gens l’occasion d’obéir à Jésus de façon pratique. Alors que les cœurs sont saisis par la compassion de Christ, une part de leur croissance en piété peut se traduire par un plus grand désir de prendre soin des fardeaux physiques et émotionnels des gens démunis. Après tout, la Bible donne aux chrétiens une foule d’instructions d’être bienveillant, généreux et miséricordieux. En ce sens, une banque alimentaire ou un programme de réadaptation pour alcooliques ou toxicomanes peut être le fruit d’une Église de chrétiens obéissants à Jésus.

Les œuvres de compassion ont aussi la capacité d’exposer la puissance de l’Évangile pour nous changer. Lorsque nous aidons notre prochain, nous prouvons la véracité de notre message. Si nous proclamons que l’Évangile a le pouvoir de changer des vies, alors notre miséricorde en est la preuve. Dans un monde où la plupart des gens vivent pour eux-mêmes et prennent uniquement soin de leurs proches, les chrétiens ont une occasion d’étonner les autres par leur amour inexplicable et leur service désintéressé.

Lorsque nous venons en aide aux autres par des moyens pratiques, nous reconnaissons que Dieu nous a créés en tant qu’êtres physiques. L’état de notre chair affecte grandement nos vies. La vie est plus difficile lorsque l’on est accablé par la faim, le froid, les effets de la drogue, la maladie ou le danger. Par conséquent, la proclamation de l’Évangile qui ne tient pas compte des facteurs physiques qui influencent la vie des auditeurs risque de sonner faux ou de paraître insensible. Il est primordial de reconnaître que nos besoins n’ont pas tous la même importance et que parfois, même nos plus grands besoins ne sont pas les plus urgents. C’est pourquoi nous pouvons affirmer avec assurance que le plus grand besoin de tous les hommes est d’être réconciliés avec Dieu par la foi en Christ. Néanmoins, si quelqu’un frappe à votre porte avec une plaie ouverte à la tête, ce besoin, bien qu’il soit d’importance inférieure, doit être soigné. Vous devez premièrement soigner la blessure à la tête et ensuite partager l’Évangile.

Nous devons aussi nous rappeler que les ministères de compassion peuvent ouvrir des portes pour annoncer l’Évangile. Nous aimons tous passer du temps avec des gens sympathiques qui s’intéressent à nos vies et qui démontrent leur désir de nous aider. Ainsi, prendre soin des autres de façon pratique est un moyen simple de construire des ponts dans votre communauté. Voici quelques exemples de l’Église de Mike :

  • Un implanteur d’Églises qui travaille parmi les pauvres apporte quelques sacs de nourriture lorsqu’il visite les gens dans leurs maisons. Le cadeau solidifie l’amitié, puis la relation permet de communiquer l’Évangile.
  • Les gens de l’Église aident des enfants désespérément pauvres de l’école primaire locale. Les membres de l’Église développent des relations avec les élèves et leurs familles, puis ils les invitent à s’impliquer dans une implantation d’Église de leur région.
  • Un groupe d’adolescents à risque est invité à l’Église chaque semaine pour partager un repas, passer du temps avec leurs amis dans un environnement sécuritaire et développer des relations avec des adultes qui peuvent avoir une influence positive sur leur vie. Chaque semaine, ils entendent un enseignement de la Bible qui applique l’Évangile à leurs vies.

Bien sûr, nous devrions tous parler de Christ avec les gens qui se retrouvent naturellement sur notre chemin comme nos voisins, nos amis et nos collègues. Toutefois, s’efforcer d’aller vers les gens démunis en pratiquant de bonnes œuvres permet d’établir des relations avec des gens que nous n’aurions pas rencontrés autrement.

Les ministères de compassion sont dangereux

Cela dit, nous nous méfions de la façon dont plusieurs Églises gèrent leurs ministères de compassion. En toute franchise, la plupart des Églises qui s’aventurent dans la jungle des moyens pratiques de venir en aide aux pauvres finissent souvent par causer plus de tort que de bien. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, voici quelques situations dont nous avons été témoins sur le terrain qui nous mettent sur nos gardes :

  1. Les ministères de compassion sont souvent exploités. J’ai (Mez) vécu dans les rues à la fin de mon adolescence jusqu’au début de la vingtaine. J’étais toujours en mesure de trouver un endroit où je pouvais déjeuner, avoir des vêtements propres, prendre une douche et avoir un peu de nourriture. Nous qui vivions au milieu de cette sous-culture pratiquement invisible savions comment profiter du système. Nous savions exactement quoi faire et quoi dire pour obtenir ce que nous voulions sans devoir trop nous engager. Les Églises, en particulier, étaient des cibles faciles puisque les gens étaient généralement sympathiques : ils étaient gentils avec nous, moins perspicaces que les agences gouvernementales et nous n’avions qu’à nous asseoir pour écouter un discours sur Dieu et peut-être prendre un livret. Ensuite, nous étions libres. Le flot de questions pouvait devenir dérangeant, mais une fois que nous avions compris ce que les gens d’Église voulaient entendre, nous pouvions aisément attirer leurs bonnes grâces. Ils avaient la chance de parler un peu de Dieu et d’être bons envers une personne pauvre, et nous obtenions ce que nous voulions. Ce qui semblait être un ministère de compassion florissant n’était en fait qu’une cible facile pour les gens égoïstes.
  2. Les ministères de compassion soutiennent le péché. Quoique ce ne soit pas le cas de tous, nous devons être honnêtes : une partie importante des gens qui tirent profit des ministères de compassion des Églises vivent dans le péché. Donner de la nourriture à un homme paresseux l’encourage dans son péché et lui permet d’éviter les conséquences de ses actes. Donner des vêtements à un toxicomane peut simplement lui mettre entre les mains un bien qu’il pourra vendre pour payer sa prochaine dose. Loger un sans-abri peut réduire sa motivation à se réconcilier avec sa famille. Si vous donnez un poisson à un homme, non seulement il reviendra le lendemain pour en redemander, mais vous courez aussi le risque de renforcer les problèmes qui l’ont poussé à venir chercher de l’aide la première fois. En d’autres mots, donner à manger à un travailleur (ou quelqu’un qui veut travailler, mais qui ne peut pas) qui a simplement faim est une chose. C’en est une autre de donner de la nourriture à une personne dont le péché le pousse à ne pas travailler et à chercher de l’aide parce qu’il croit la mériter. Dans ce cas, vous risquez d’inciter et d’aider la personne à s’enfoncer dans son péché. Vous encouragez alors son péché sans le vouloir.
  3. Les ministères de compassion peuvent être paternalistes et égocentriques. Si nous sommes transparents, la majeure partie des ministères de compassion n’accomplissent pas beaucoup plus qu’un sentiment de réussite pour les responsables. La plupart des ministères de compassion dans les Églises sont dirigés par des gens de la classe moyenne qui aiment Jésus et souvent la motivation de ces personnes découle d’un mélange d’intentions pieuses et d’une culpabilité mal placée. Au lieu d’apporter une aide véritable aux gens, trop de ministères de compassion se contentent de poser des actions qui paraissent bien. Il en résulte un programme qui rend les gens dépendants de la distribution de biens et de l’aide fournies par les gens « au-dessus » d’eux dans l’échelle sociale. Très peu de fruits durables sont produits par ces ministères, mais personne ne veut les fermer pour ne pas avoir l’air indifférent à la pauvreté. Nick Saul, un militant canadien contre la pauvreté, a causé une vague mondiale en disant l’affirmation suivante à propos des banques alimentaires. Il les a critiqués en disant qu’elles n’étaient que « des personnes privilégiées qui viennent en aide aux personnes défavorisées, perpétuant la distinction entre nous et eux[2] ». Saul croit que les banques alimentaires traditionnelles n’apportent pas une aide réelle. La nourriture qu’elles offrent est souvent de piètre qualité et le processus ne contribue nullement au sentiment de dignité ou d’estime personnelle des clients, ne les aide pas à trouver un emploi, à se sortir de la pauvreté ou à améliorer leur santé et leur bien-être. La faim immédiate des gens est assouvie, mais la satisfaction ne dure pas. Voici son commentaire troublant concernant la plupart des banques alimentaires : « La seule personne qui n’en retire aucun bienfait est la personne pour laquelle cette initiative a été mise en place. Presque tous ceux qui doivent se rendre dans une banque alimentaire disent qu’il s’agit d’une mort lente et souffrante de l’âme[3]. » Peu de choses dans le monde sont plus tristes que de voir un habitué de la soupe populaire. C’est un outrage. Très souvent, les gens ne sont pas encouragés à subvenir à leurs propres besoins ; on ne leur vient pas réellement en aide. Ils ne sont pas confrontés ni équipés pour réussir à s’en sortir. Nous devons donc nous demander : si ces ministères de compassion ne comblent pas réellement les besoins des pauvres, alors qui en bénéficient ?
  4. Les ministères de compassion favorisent la dérive de la mission. Le plus grand danger des ministères de compassion est probablement qu’ils peuvent distraire une Église de sa mission principale. Ces ministères offrent des occasions de servir attrayantes pour les chrétiens. Vous pouvez avoir deux fois plus de volontaires pour servir dans une soupe populaire pour une journée que pour une formation d’évangélisation. Après tout, le monde nous applaudit lorsque nous donnons à manger aux pauvres. Nourrir les pauvres nous procure un sentiment de bien-être ; peut-être même (si nous sommes honnêtes) le sentiment d’être meilleur que tous ceux qui ne l’ont pas fait. L’évangélisation et la formation de disciples n’attirent cependant pas toujours le même élan de satisfaction. Souvent, elles riment avec rejet et conversations embarrassantes. Il y a une réelle tentation de se contenter de combler seulement les besoins physiques. Or, les priorités sont renversées.

Le besoin le plus substantiel des pauvres est l’Évangile de Jésus-Christ (voir le chapitre 1) et l’Église est le moyen par lequel l’Évangile est proclamé. Si nous ne le faisons pas, ils ne l’entendront pas. Donc, les Églises qui œuvrent dans les régions pauvres doivent être vigilantes et s’assurer de ne pas être distraites par leur travail humanitaire.

Bien mener un ministère de compassion est difficile et accaparant

Comme nous l’avons mentionné, nous ne sommes pas contre les ministères de compassion. Nous avançons simplement que si nous voulons en gérer, nous devons le faire de manière à ce qu’ils servent la mission de l’Église. Et si nous voulons qu’il en soit ainsi, nous devons être prêts à y investir beaucoup de temps et d’efforts.

Les ministères de compassion doivent avoir lieu dans un contexte de relations et de responsabilisation. Aucune structure de responsabilisation ne fonctionne parfaitement. Il y a toujours des gens qui déjouent le système. Nous ne vous suggérons pas d’attendre d’être complètement certains que personne ne profitera de vous avant de lancer votre ministère. Néanmoins, il devrait y avoir une différence entre l’aide de l’Église et l’aide de l’État : l’Église devrait distribuer ses dons dans le contexte d’une relation avec les chrétiens.

Cette méthode peut varier en fonction du contexte et peut-être de la saison de vie où se trouve votre famille. Mais au-delà de tout cela, les chrétiens devront sacrifier de leur temps parce que les relations nécessitent beaucoup de temps. Il semble bien plus facile de donner des denrées non périssables et de se sentir bien dans sa peau, n’est-ce pas ? Pourtant, nous sommes aussi appelés à donner du temps. Dans ma propre vie (Mez), je donne du temps en tenant un souper hebdomadaire et une étude biblique pour les sans-abris et en jouant au soccer avec des adolescents latino-américains.

Lorsque le Seigneur bénit nos efforts et que nous voyons le fruit évangélique qui en découle, nous devons nous préparer à former les nouveaux croyants, à les aider à s’engager et s’impliquer pleinement dans la vie de l’assemblée. Cependant, si nous avons lancé un ministère de compassion sans avoir planifié au-delà d’une intervention de crise, nous ne dépasserons jamais les premières étapes de la formation de disciples avec les gens démunis. Comme quoi les Églises doivent réfléchir aux répercussions à long terme de leur ministère auprès des pauvres. Nous devons réfléchir à ce que nous ferons avec les personnes qui viendront à Christ par le biais d’un ministère de compassion. Quel est le processus de formation de disciple ? Qui en prendra soin ? À qui devront-ils rendre des comptes ? Qui les accompagnera dans leur marche avec Jésus ? Comment les préparerons-nous pour les œuvres de service auxquelles Dieu les appellera une fois qu’il les aura sauvés ? Comment identifierons-nous les anciens revendeurs de drogues, sans-abris et prédateurs sexuels que le Seigneur appelle au ministère à temps plein et comment les formerons-nous ?

À Niddrie Community Church, le Saint-Esprit de Dieu œuvre et amène beaucoup de gens de la communauté élargie à la foi. La structure de l’Église prévoit un parcours clair pour l’évangélisation, la formation de disciple qu’on entame le plus tôt possible jusqu’au service qui honore Dieu, que ce soit dans le milieu de travail ou dans un ministère vocationnel. Certaines personnes du programme de stage de formation ont été agressées sexuellement, abandonnées, dépendantes ou diagnostiquées avec des maladies mentales, et d’autres proviennent de familles stables et aimantes. Parmi les gens qui sont en formation théologique dans l’Église, au moins les deux tiers étaient auparavant toxicomanes, sans-abris, atteints de maladies mentales ou victimes d’agressions[4]. En fait, Mez est lui-même le résultat de l’investissement majeur d’une Église dans sa vie après que l’Église l’ait atteint dans les rues et qu’il ait purgé une peine de prison. Ceci est vraiment le cœur du problème. Nous contentons-nous de nourrir ceux qui ont faim ? C’est bien, mais c’est aussi bien inférieur au plein potentiel de l’amour chrétien. Nous contentons-nous d’annoncer l’Évangile ? C’est encore mieux que la nourriture, mais ce n’est pas la finalité de l’œuvre. Non, l’amour chrétien désire ce que Dieu désire pour la vie des gens : l’obéissance à Christ inconditionnelle, fidèle et fructueuse.


[1] Pour une argumentation complète sur ce sujet (ainsi qu’une bonne dose des délices et des gloires du capitalisme « libre-marché »), voir Kevin DeYoung et Greg Gilbert, Quelle est la mission de l’Église ? : quels liens y a-t-il entre la justice sociale, la shalom, et le grand mandat ?, Trois-Rivières, Éditions Cruciforme, 2015.

[2] Patrick Butler, « Food Banks Are ‘a Slow Death of the Soul’ » [Les banques alimentaires causent la mort de l’âme à petit feu], trad. libre, The Guardian, 25 septembre 2013, < http://www.theguardian.com/society/2013/sep/25/food-banks-slow-death-soul/ >.

[3] Ibid.

[4] Pour voir à quoi cela ressemble concrètement, visitez 20Schemes.com (en anglais seulement).


Cet article est tiré du livre : « Être l’Église là où c’est difficile » de Mez McConnell & Mike McKinley