La crainte de Dieu est-elle opposée à la joie? (Michael Reeves)

Parler des tressaillements de joie et de délices exquis de la crainte de Dieu est plutôt surprenant. Pourtant, les Écritures révèlent clairement que, de la même manière que la crainte de Dieu définit le véritable amour pour Dieu, elle définit aussi le véritable bonheur que l’on trouve en Dieu. Tout comme Christ prenait plaisir dans la crainte de l’Éternel, elle doit aussi être une chose agréable pour les croyants, car il s’agit de prendre plaisir à sa gloire terriblement agréable. 

Un Dieu heureux

Le Dieu vivant n’est pas modérément heureux, mais terriblement heureux, et quand nous ressentons cette crainte, nous entrons dans la joie de notre Maître. « Bénis » ou « heureux », comme Dieu, « est l’homme qui est continuellement dans la crainte ! » (Pr 28.14, voir aussi És 66.5.) C’est ainsi que Néhémie prie : « Ah ! Seigneur, que ton oreille soit attentive à la prière de ton serviteur, et à la prière de tes serviteurs qui veulent craindre ton nom ! (Né 1.11.) Ceux qui servent « l’Éternel avec crainte » vont se « [réjouir] avec tremblement » (Ps 2.11), tout comme les deux femmes qui avaient entendu parler de la résurrection de Jésus et qui s’étaient précipitées vers son tombeau « avec crainte et une grande joie » (Mt 28.8). Ceux qui voient la gloire de Dieu, en particulier au travers de la puissance de ce qu’il met en œuvre pour le salut, voient qu’il est « redoutable, et digne de louanges, opérant des prodiges » (Ex 15.11, BDS). C’est pour cette raison que nous trouvons פחד) phd) dans Ésaïe 60.5 : « Tu le verras alors, tu brilleras de joie, ton cœur tressaillira et se dilatera. » Ce verset décrit une émotion joyeuse à un point tel que le cœur palpite de plaisir. Charles Spurgeon dit que les croyants adorent et vénèrent le Dieu vivant « avec une crainte tendre et joyeuse, qui nous terrasse et nous élève très haut, car jamais nous ne nous sentons aussi proches du précieux trône du ciel que lorsque notre esprit s’abandonne en adorant Celui qu’il ne voit pas, mais dans la réelle présence duquel il tremble, dans un plaisir sacré1 ». 

Parce que cette crainte trouve un plaisir sincère en Dieu lui-même, elle commence à ressentir un véritable plaisir à marcher dans ses voies. L’homme « qui craint le Seigneur » sera celui « qui trouve un grand plaisir à ses commandements » (Ps 112.1). Et en même temps, Dieu prend plaisir en ceux qui ressentent ce plaisir tremblant et délicieux en lui.

Ce n’est pas dans la vigueur du cheval qu’il se complaît, ce n’est pas dans les jambes de l’homme qu’il met son plaisir ; l’Éternel aime ceux qui le craignent, ceux qui espèrent en sa bonté (Ps 147.10,11).

Les puritains et la crainte de Dieu

Les prédicateurs puritains étaient souvent portés à clarifier la nature de cette crainte de Dieu, en grande partie à cause de la façon dont leur peuple était enclin à voir la crainte comme le contraire du plaisir. William Ames, par exemple, a fait la distinction entre la crainte pécheresse et la crainte louable. La crainte pécheresse, a-t-il expliqué, est cette « crainte qui effraie les hommes et les éloigne de Dieu, ou qui les pousse à fuir loin de lui. C’est aussi la crainte que ressentent ceux qui ont seulement peur de la colère de Dieu ». À l’inverse, la crainte que les Écritures recommandent est celle dont on peut affirmer ceci : « La principale cause de notre crainte n’est pas un mal qui nous met en danger, mais l’excellente perfection de Dieu2. » C’est en effet ainsi que les puritains comprenaient les Écritures. Dans Jérémie 2, le Seigneur se décrit lui-même comme la source d’eau vive dans une lamentation :

Car mon peuple a commis un double péché : ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées (Jé 2.13)

Mais qu’est-ce que cela signifie d’abandonner la fontaine d’eau vive ? Le Seigneur poursuit en expliquant :

Tu sauras et tu verras que c’est une chose mauvaise et amère d’abandonner l’Éternel, ton Dieu, et de n’avoir de moi aucune crainte, dit le Seigneur, l’Éternel des armées (Jé 2.19).

Craindre le Seigneur, c’est prendre plaisir en lui et boire son eau douce. C’est la raison ultime pour laquelle il doit être craint : « il est redoutable par-dessus tous les autres Dieu » (Ps 96.4).

Cette juste crainte de Dieu n’est donc pas un mode mineur, l’envers lugubre de la joie appropriée en Dieu. Il n’y a aucune tension entre cette crainte et la joie. Cette « crainte de Dieu », avec les tremblements qui l’accompagnent, est une façon de parler de l’intensité absolue du bonheur que les saints éprouvent en Dieu. En d’autres termes, le thème biblique de la crainte de Dieu nous aide à comprendre quelle sorte de joie convient le mieux aux croyants.

Un amour émerveillé

Notre désir pour Dieu et le plaisir que nous trouvons en lui ne sont pas censés être tièdes. Puisque notre amour pour Dieu est un amour tremblant et émerveillé, notre joie en Dieu, dans sa forme la plus pure, est une joie tremblante et émerveillée – oui, une joie remplie de crainte. Car l’objet de notre joie est extrêmement et terriblement merveilleux. Nous sommes faits pour nous réjouir et trembler devant Dieu, pour l’aimer et prendre plaisir en lui, avec l’intensité qui convient. Et y a-t-il quelque chose qui convienne davantage à son infinie magnificence que le fait que nous nous réjouissons en lui bien plus que nos êtres fragiles peuvent le supporter ? Que nous y trouvions un plaisir qui nous submerge et qui nous fait trembler ? Normalement, notre joie en Dieu est froide et ternie, mais quand nous travaillons à notre salut « avec crainte et tremblement » (Ph 2.12), nous devenons terriblement heureux, comme notre Dieu. 

Cet extraordinaire jumelage de la joie et de la crainte peut être bien observé lorsque deux déclarations sages et célèbres sont réunies. L’une dit : « C’est là ce que doit faire tout homme. » L’autre parle du « but principal de la vie de l’homme », mais les deux concernent la même chose : le but pour lequel nous avons été créés. La première affirmation est tirée du livre de l’Ecclésiaste, au moment où le prédicateur conclut son argumentation : « Écoutons la fin du discours : Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là ce que doit faire tout homme » (Ec 12.15). La seconde affirmation est la première réponse tirée du Petit Catéchisme de Westminster qui nous dit : « Le but principal de la vie de l’homme est de glorifier Dieu et de trouver en lui son bonheur éternel. » Devrions-nous craindre Dieu et garder ses commandements ou devrions-nous glorifier Dieu et prendre plaisir en lui éternellement ? Il n’y a là aucune contradiction, car les deux décrivent la même réalité. Ceux qui craignent Dieu le glorifient, comme ceux qui chantent le chant victorieux dans Apocalypse 15.4 : « Qui ne craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom ? »

Mais, ce n’est pas tout : quand le prédicateur nous recommande de craindre Dieu, il nous invite précisément à ce que le Catéchisme de Westminster appelle le but principal de la vie de l’homme, c’est-à-dire de prendre délicieusement plaisir en Dieu en lui rendant gloire.


1. Spurgeon, « A Fear to Be Desired », p. 496.
2. William Ames, « Conscience with the Power and Cases Thereof », dans The Workes of the Reverend and Faithfull Minister of Christ William Ames, Londres, John Rothwell, 1643, p. 51. 


Cet article est adapté du livre : « Réjouissez-vous et tremblez » de Michael Reeves